Bombino, la guitare touareg

Bombino, un nouveau chanteur de charme, en provenance directe de Sicile ? Que nenni ! Même si la pochette du CD fait davantage que le suggérer. Sur un fond jaune moutarde, le fameux Bombino chevauche une moto vintage, guitare en bandoulière, keffieh au vent. Voici pourtant un indice. Car derrière Bombino se cache Omara Moctar, guitariste touareg d’une trentaine d’années qui vient de sortir son 4e album, “Nomad”, où ses chants plaintifs en tamasheq sont enrobés de riffs de guitare qui engendrent la transe.

Jusqu’en 2009, Bombino était peu connu en dehors de l’Afrique saharienne. Originaire d’Agadez au Niger, il jouait dans des groupes locaux et sa musique était diffusée sur des cassettes – plus résistantes au sable que les CD ! Si les Inrocks l’ont découvert en 2004 grâce à “Agamgam”, premier album officiel sorti sur le label français Reaktion, c’est avec l’aide de réalisateurs de documentaires espagnol puis américain que sa reconnaissance va croître. En 2009, donc, sort “Guitars from Agadez” suivi, deux ans plus tard, de “Agadez”.

Nombreux sont ceux qui sont tombés sous le charme de la musique de Omara Moctar. Le dernier en date n’est rien moins que Dan Auerbach, chanteur et guitariste des Black Keys et récent Grammy du meilleur producteur. “Nomad” a été enregistré dans son studio Easy Eye Sound à Nashville. Où Omara Moctar et ses trois musiciens se sont déplacés. “On avait envie que notre album soit travaillé et produit” raconte en français un artiste que l’on sent par ailleurs discret et timide. “On n’avait ni les moyens ni le matériel au Niger” continue-t-il. “Un pays où vous ne trouvez même pas une boutique pour acheter tout simplement des cordes de guitare.” Etonnant quand on sait l’importance de la musique chez les Touaregs, même si la guitare ne s’est vraiment implantée que dans les années 80. “En effet, nous jouions de l’inzad (qu’on appelle ici violon) et du tende (sorte de tam tam). La femme est la seule à pouvoir jouer l’inzad pendant que l’homme chante. Cela prend place après la dernière prière juste avant d’aller se coucher. Et puis, on joue aussi pendant les cérémonies (mariage, baptême,…)”

Sur le site “The Revivalist”, Bombino a déclaré qu’à une époque, il était dangereux pour un touareg de posséder une guitare parce que c’était un moyen d’expression qui avait mobilisé la jeunesse pendant les rébellions. Durant l’une de celles-ci, dans les années 90, deux musiciens d’un groupe où officiait Bombino ont ainsi été assassinés, ce qui a poussé ce dernier à l’exil. A un moment ou un autre, il s’est retrouvé en Algérie, au Burkina Faso et en Libye. Et si son album s’intitule “Nomad”, son chez lui c’est Agadez. “C’est là où je suis né, où j’ai grandi. L’exil, pour moi, c’est quelque chose de négatif.”

Bombino est membre de la tribu des touaregs Ifoghas et son surnom il le doit au fait qu’il était le plus jeune et le plus petit membre d’un groupe local de musique où il a débuté. En feuilletant le dictionnaire, on a aussi trouvé que bombino était le nom donné à un cépage prolifique du sud de l’Italie, à la base de tous les vermouths les plus connus. Pas mal !

Omara Moctar possède d’autres surnoms, beaucoup plus lourds à porter, ceux de “Jimi Hendrix du désert” voire, toujours dans le même registre, de “réincarnation sahélienne de Jimi Hendrix”. Rien de moins. C’est que certains voient dans le jeu du touareg quelque ressemblance avec celui du célèbre musicien américain ayant sévi fin des années 60. D’autres évoquent aussi Mark Knopfler (Dire Straits), Carlos Santana, ou plus proche de lui, Ali Farka Touré. Tous des guitaristes virtuoses, dont Omara Moctar a été fan. Jimi Hendrix et Mark Knopfler, il les a découverts via des cassettes vidéo, à la faveur de déplacements chez des oncles à Tamanrasset. “Des noms que les gens ne connaissent pas. Ils possèdent juste des cassettes dont ils écoutent la musique sans savoir qui joue. Pour eux tous les musiciens s’appellent “rock”. J’avais 17 ans et avec la guitare que j’avais reçue en cadeau, je reproduisais les mêmes accords” se souvient celui qui avait pris la route sans l’accord de ses parents. La légende raconte aussi que, simple berger dans les environs de Tripoli, il répétait, au vent, ses accords de guitare. Dans l’intervalle, Bombino s’est émancipé de ses maîtres pour offrir un savant mélange de rythmes du désert incluant des effluves de rock, de blues voire de folk.

Les puristes auraient pu craindre que travailler avec Dan Auerbach allait dénaturer le propos de cette musique saharienne. Il n’en est rien, les interventions de l’Américain se révélant discrètes (synthés, pedal steel) et l’on appréciera à sa juste valeur sa basse sur l’entêtant “Niamey Jam” qui porte si bien son nom. Un morceau d’à peine 2 minutes 30 alors que sur scène, Bombino à l’heur de parfois le jouer pendant plus de 15 minutes. On le sent comme transporté. “C’est le plaisir de jouer, qui va au-delà des explications. Si je pouvais l’expliquer, il n’y aurait pas de mystère, or c’est justement ce que je ressens.”

  • “Nomad”, Bombino, un CD Nonesuch/Warner.
  • En concert le jeudi 15 août à 19h30 au festival Pukkelpop, à Kiewit (Hasselt).

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