[Interview] Hotei Tomoyasu, le guitar hero japonais

Pour tout fan de rock qui se respecte, le « guitar hero » reste une figure assez usuelle dans notre paysage. Pourtant, alors que l’on pourrait penser que ceux-ci sont principalement occidentaux, surprise est de constater que le Japon a aussi le sien en la personne d’Hotei Tomoyasu, cet homme dont le nom vous est certainement inconnu, mais dont les chansons ont marqué la légende.
Vivant actuellement à Londres, l’homme est bien décidé à conquérir son public étranger, notamment en faisant plusieurs apparitions festivalières cet été, dont le fameux Montreux Jazz Festival en Suisse.

Hotei TOMOYASU

Journal du Japon a eu le privilège de s’entretenir avec le samourai électrique pour une longue confession.

Journal du Japon : Tout d’abord, pouvez-vous vous presenter auprès de ceux qui d’aventure ne vous connaitraient pas encore ?
Hotei Tomoyasu : Du haut de mes 1m87, je suis un guitariste particulièrement grand comparé aux standards japonais ! J’ai plus de 30 ans de carrière derrière moi, et même si tout le monde a certainement déjà entendu certaines de mes chansons, je pense que peu de gens connaissent mon nom en dehors du Japon. Avez-vous le film de Tarantino, Kill Bill ? J’en ai écrit, produit et joué le thème principal, Battle Without Honor or Humanity. D’ailleurs, en discutant avec mon chauffeur de taxi aujourd’hui, celui-ci m’a effectivement avoué qu’il ne connaissait pas mon nom, mais certainement la chanson.
Cela fait longtemps que je travaille au Japon, mais maintenant j’habite à Londres et je me concentre sur ma carrière internationale en travaillant sur de nouveaux morceaux et de nouveaux concerts. Je ne pense pas être un guitariste technique, je préfère me voir comme un bon guitariste qui fait danser les gens.

Quand vous étiez jeune, qui était vos héros et pourquoi ?
Mes trois plus grandes idoles sont les T.Rex, David Bowie et Roxy Music. J’écoutais beaucoup de rock progressif comme King Crimson, YES ou ELP, mais était aussi influencé par la pop anglaise comme les 10cc, Be bop deluxe, Steve Harley Cockney Rebel, Deaf School, etc. J’aimais également beaucoup certains artistes comme Ray Parker Jr., Nile Rodgers, Adrian Belew, Bill Nelson, Andy Partridge, Andy Gill, Jeff Beck ou Prince.

Comment en êtes-vous arrivé à vouloir devenir musicien ?
Cela m’est vraiment venu vers mes 14 ans. Alors que je passais en marchant devant un disquaire de mon quartier, et j’ai vu un poster en noir et blanc de Marc Bolan (chanteur/guitariste des T.Rex). Il était là, tenant sa guitare avec un air extatique. En voyant cette image, j’ai senti que la guitare devait être un moyen de voir du pays, d’être libre et heureux. Cela m’a vraiment inspiré. Dans les années 70, tous les grands groupes avaient un guitariste soliste. Quand j’écoutais les CD de l’époque, il y avait toujours des riff très sympas. Le jour où j’ai vu ce poster de Marc Bolan, j’ai volé 100€ dans le porte-feuille de ma mère et me suis acheté ma toute première guitare, une Stratocaster avec un ampli. Elle savait que j’avais fait ça, mais elle ne m’a rien dit. Si le porte-feuille de ma mère n’avait pas été là à ce moment -là, je ne serais peut-être pas devenu un guitariste !

Est-ce que vos origines étrangères ont eu un impact sur votre musique, et si oui, de quelle façon ?

Mon père était coréen, mais ma mère était japonaise, et je suis né et ai grandi au Japon. Je ne peux pas parler coréen, mais honnêtement je n’ai pas vraiment d’attache envers la culture et l’histoire coréenne. Mais je suppose que cela ressort quand j’ai envie de manger au restaurant coréen ?!

Qu’est-ce qui vous inspire pour composer ?
Je commence souvent mon exploration en assemblant un riff de guitare et un rythme. Au début, c’est un peu comme si on commençait sur une toile vierge, et à la fin, se retrouver avec une peinture que l’on aurait eu du mal à imaginer. Avec les films ou les travaux produits par d’autres personnes, si le theme ou le concept a déjà été pré-défini, il peut être plus facile de créer. Mais chercher en soi des éléments de création n’est pas une tâche facile.

Vous avez travaillé avec beaucoup d’artistes étrangers, mais quel est la collaboration qui vous a le plus marquée ?
Avoir la chance de jouer avec David Bowie et Roxy Music. C’était dingue, puisque ce sont deux de mes idoles. Mais en mars dernier, j’ai fait une apparition sur scène aux côtés des Rolling Stones , et c’était vraiment génial, comme un rêve !

C’est-à-dire ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
Etre sur scène, entouré des members des Rolling Stones, c’était comme être une personnalité du musée Madam Tussaud [l’équivalent anglais du musée Grévin, ndlr]. Ce ne pouvait être vrai. Jouer avec les Rolling Stones doit être le rêve à atteindre pour tout musicien. C’était tellement surréaliste, comme si j’avais été accepté dans un programme d’astronaute pour aller sur Mars. Ce sont de grands messieurs, très professionnels et pleins de qualités. Je n’oublierai jamais cette incroyable expérience.

Vous avez également collaboré avec Momoiro Clover Z, fait assez surprenant ! Pouvez-vous nous raconter l’histoire de cette étonnante rencontre ? Qu’avez-vous retiré de cette expérience ?
Je pense qu’elles ont une énergie très différente des autres groups d’idols au Japon, et c’est particulièrement evident lors de leurs performances live (en fait, elles chantent vraiment toutes leurs chansons sur scène !). C’était une proposition assez unique : on m’a demandé de leur créer une chanson qui serait un résumé de 4 ou 5 chansons. J’ai toujours aimé la musique théâtrale, donc pour moi c’était une expérience vraiment amusante.

Comme dit en début d’interview, vous êtes surtout connu pour votre chanson Shin jingi-naki tatakai(ou Battle Without Honor or Humanity) qui est le theme du film de Quentin Tarantino, Kill Bill Vol.1. Comment avez-vous fini sur la BO ?
A l’origine, c’est une chanson que j’ai compose et joué pour un film japonais. Tarantino l’a vu et a contacté mon staff pour savoir s’il pouvait l’utiliser pour son film Kill Bill.

Dès lors, cette chanson a été utilisée pour des émissions TV, de films, de soirées, et c’est incroyable pour moi de voir à quelle point cette chanson est reconnue par les gens du monde entier. Je suis tellement heureux que les gens apprécient ma musique, cela me motive pour continuer à composer de nouvelles chansons et les partager dans le monde entier.

Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais cette chanson est le générique d’une émission TV très populaire sur le football [Téléfoot, ndlr]. Comment voyez-vous cette vulgarisation ? Pensez-vous que d’une certaine façon, la chanson a perdu son essence première ?
Cela me rend toujours heureux de savoir que dans différentes parties du monde, les gens apprécient mes chansons. Je pense que cette chanson a vraiment de l’énergie, un esprit combatif. En ce sens, c’est la chanson parfaite pour les scènes dynamiques ou sportives. Elle est également utilisée en ce moment en Angleterre pour une publicité d’eau minérale, avec une scène assez drôle et très anglaise d’un vieil homme s’engageant dans une bataille de cricket.

Vous avez également travaillé sur d’autres bandes originales (Fear and Loathing in Las Vegas, Mission:Impossible Ghost Protocol), est-ce que la façon de composer est différente pour ce genre de projets ?
Terry Gilliam, le réalisateur de Fear and Loathing in Las Vegas, avait tellement un caractère spécial qu’il était difficile de dire jusqu’à quel point il blaguait ou était sérieux. Il est surprenant de voir à quel point son travail peut être dingue.
J’ai également rencontré Tom Cruise pour l’avant-première de Mission : Impossible 2. Nous avons en fait le même âge, mais je suis un peu plus grand ! Quand il a entendu ma version de la chanson, il a dit « je préfère ta version à l’originale ! ».
Mon dernier projet vient également d’être annoncé : il s’agit du thème du prochain film sur Lupin, Lupin III, qui sortira en août au Japon. Je n’y connais pas grand-chose à l’industrie du cinéma, mais les gens disent souvent que ma musique est très cinématographique. Ça m’intéresserait vraiment de travailler sur d’autres projets.

Bien loin de votre guitare, vous avez également commence une carrière de metteur en scène pour la pièce Psychedelic Pain. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez endossé ce nouveau rôle, et ce que cela vous a apporté en tant qu’artiste ?
Préparer une musique qui accompagnerait toutes les répliques d’un script a été beaucoup plus difficile que ce que je pensais. La clé de la chanson est différente selon que l’on est un homme ou une femme, et il y a beaucoup d’autres points à prendre à compte. Le fait d’avoir toujours écouté des musique de comédies musicales m’a vraiment aidé. The Kinks et The Who‘s rock opera, 10cc, Sparks, Queen, d’autres artistes ont eu beaucoup d’influence sur moi. En commençant par La Mélodie du Bonheur, j’ai écouté pas mal de bandes originales, et tout cela est maintenant ancré en moi.

Vous avez récemment déménagé à Londres, pourquoi cela? Que possède l’Angleterre que n’a pas le Japon ?
J’ai déménagé définitivement à Londres en 2012, un vrai tournant dans ma vie. Je venais d’avoir 50 ans et avait également atteint les 30 ans de carrière en tant que musicien. Rétrospectivement, j’ai vécu énormément de choses et me sens très chanceux d’avoir pu atteindre ce point : j’ai rencontré des gens extraordinaires, vendu des dizaines de millions d’albums, me suis produit dans des stades sold-out, etc. Je suis fier du succès et de l’histoire que j’ai eue, et j’ai également conscience que tout cela s’est fait aux travers de nombreux défis et luttes. Mais je ne peux pas accepter de rester où j’en suis. Je veux tirer profit de mon expérience et l’utiliser pour de nouveaux challenges.
J’aime ma vie à Londres. C’est un gros changement pour moi, mais dans le bon sens. Comme je suis grand, chose rare au Japon, je me faisais facilement remarqué dans la rue. Mais à Londres je me peux me fondre dans la masse et me détendre en allant au musée, me promener, ou au pub du coin. Je peux prendre le bus ou partir avec ma oyster card [carte de transport londonienne, ndlr]. Ça m’a pris du temps pour m’habituer aux ronds points de Londres, mais maintenant j’aime vraiment faire un tour en voiture.
Evidemment au début, j’étais parfois frustré. A Tokyo les choses sont toujours parfaitement organisées et ponctuelles, mais à présent j’apprécie également le côté « do it yourself » de Londres, je trouve cela rafraichissant. La diversité culturelle de Londres est également excitante, et cela m’inspire beaucoup.

Si vous regardiez en arrière, sur l’ensemble de votre carrière, pensez-vous avoir réalisé vos rêves ? En tant qu’artistes quels sont vos nouveaux objectifs ?
Quand j’étais adolescent et que j’ai commencé la guitare, mon rêve était de jouer dans le monde entier. Je réalise à présent que pour que ce rêve se réalise, c’est maintenant ou jamais. J’ai joué à l’étranger plusieurs fois, mais je veux vraiment pousser cela à un autre niveau, pleinement et correctement. J’aime vraiment quand la vie nous met au défi, et après avoir fêté mes 50 ans, je vois cette prochaine étape de ma vie comme un nouveau départ, et je suis vraiment enthousiaste.

Vous expérimentez beaucoup, mélangeant la mode et la musique par exemple. Que pouvons-nous attendre de vous dans le futur ?
Mon but est de créer une performance qui incarnerait la beauté du Japon. Mélanger la musique, le visuel, la mode … je veux créer un nouveau style qui serait visuellement aussi stimulant qu’amusant, et permettre aux gens de danser et jouir de la musique.

Vous pouvez suivre Hotei Tomoyasu sur son site officiel.

Nous remercions Hotei Tomoyasu pour avoir pris le temps de répondre à nos questions, ainsi qu’Elizabeth Hildebrand et Louise Thompson.

Laure Ghilarducci

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