Jim Hall, leçon de guitare modeste

Le guitariste Jim Hall au Monterey Jazz Festival, le 21 septembre 2007.

Le guitariste de jazz Jim Hall est décédé à l’âge de 83 ans. C’était un homme si discret qu’il est mort dans son sommeil, sans même qu’une maladie ait été préalablement diagnostiquée. En musicien exemplaire, le guitariste de jazz a rendu son dernier soupir à son domicile new-yorkais dans la nuit du 9 au 10 décembre, moins d’une semaine après son 83e anniversaire, comme on boucle un morceau en laissant un peu résonner le dernier accord. Tout au long d’une carrière qui s’étend sur un demi-siècle, il aura été de toutes les aventures du jazz, compagnon de route idéal des plus grands (Bill Evans, Sonny Rollins, Paul Desmond, Art Farmer, Ella Fitzgerald, Bob Brookmeyer…) et maître instrumentiste sans ostentation, adulé par une cohorte de disciples (Pat Metheny, Bill Frisell…).

Né à Buffalo, dans l’Etat de New York, le 4 décembre 1930, James Stanley Hall grandit à Cleveland, où il vivra de l’âge de 8 ans à 25 ans, avec sa mère, Louella, après la séparation de ses parents. Malgré ses très modestes moyens financiers – ils habitaient dans une HLM –, sa mère lui achète une guitare pour ses dix ans. Le petit Jim convoitait cet instrument, influencé qu’il était par un oncle guitariste de country music. Après quelques cours, âgé de 13 ans, il commence à se produire avec des groupes amateurs. Un clarinettiste de ses amis l’emmène avec lui pour acheter un disque du sextette de Benny Goodman. Ils écoutent « Grand Slam » dans le magasin. Sur ce blues, Jim Hall entend, médusé, le guitariste de la formation, Charlie Christian, improviser deux chorus. La révélation, son pilier de Notre-Dame. Bien qu’il n’y ait pas de tourne-disque chez les Hall, Jim achète le disque et le trimballe avec lui pour l’écouter là où c’est possible.

DIRECTION LOS ANGELES

Payant ses frais d’inscription à tempérament, il poursuit pendant cinq ans des études de musique, classique compris, au Cleveland Institute of Music, qui comptait dans ses rangs des professeurs de renom, dont des exilés européens ayant fui le nazisme. Il les interrompt quand un ami installé à Los Angeles, Joe Dolny, lui propose de rejoindre la formation qu’il fait répéter régulièrement. Flanqué d’un compère saxophoniste, Jim Hall trouve un moyen de voyager gratuitement en convoyant, en une semaine, une Cadillac jusqu’à la métropole californienne. Dans l’orchestre de Joe Dolny, Hall rencontre des musiciens comme le contrebassiste Ralph Peña et le batteur Mel Lewis, dont croisera à nouveau la route par la suite. Il étudie parallèlement la guitare classique avec Vicente Gomez, un enseignement d’où il tirera la clarté de son contrepoint et de ses lignes mélodiques, ses marques de fabrique.

Le tournant de sa carrière se produit avec sa participation à deux formations parmi les plus sophistiquées que comptera la côte Ouest des Etats-Unis : le quintette du batteur Chico Hamilton et le trio de Jimmy Giuffre, deux formations qui ont en commun de n’avoir pas de pianiste.

Dans le quintette de Chico Hamilton, Hall a un pied dans la section rythmique et l’autre dans les voix chargées de la mélodie. Avec Jimmy Giuffre, dont le trio est initialement complété par le contrebassiste Ralph Peña, Hall occupe également un rôle pivot. Les deux formations vont connaître le succès et seront notamment présentes au festival de Newport en 1958, immortalisé par le film « Jazz on a summer day », le tromboniste Bob Brookmeyer remplaçant Peña dans le trio de Giuffre.

Hall est également sollicité en Californie pour des enregistrements moins audacieux mais où il démontre ses capacités à swinguer sans retenue. C’est le cas auprès du pianiste Hampton Hawes. Il entre dans le quartette qui accompagne régulièrement Ella Fitzgerald et figure en particulier dans l’enregistrement historique du concert de Berlin, en 1960, où la chanteuse improvise des paroles, faute de ses les rappeler, dans une longue version de « Mack the knife ». Dans ce rôle d’accompagnateur, Hall cultive l’art de soutenir fermement sans obstruction.

DES RENCONTRES FÉCONDES

A la fin des années 1950, Hall quitte la Californie pour New York. Il y retrouve le saxophoniste alto Paul Desmond. Les deux hommes avaient noué des liens auparavant, mais deviennent très proches. Devenu mondialement célèbre pour sa composition « Take Five », au sein du Dave Brubeck Quartet, en 1959, Desmond entreprend cette même année d’enregistrer des albums sous son nom, c’est Hall qu’il choisit pour compléter son quartette. Outre la volonté de ne pas reproduire avec un pianiste le son du groupe de Brubeck, Desmond trouve en Hall un parfait partenaire, à la sonorité, comme la sienne, dépourvue d’agressivité, d’un goût parfait et dont le discours s’entrecroise avec le sien avec fluidité. Six albums, pour le label RCA, naîtront de cette collaboration entre 1959 et 1965.

Autre rencontre phare, celle avec Sonny Rollins. Revenu de sa retraite – de 1959 à 1961, où il jouait seul la nuit sur le pont de Williamsburg, qui enjambe l’East River entre Manhattan et Brooklyn –, le puissant saxophoniste ténor monte une nouvelle formation, mais là encore sans pianiste. Et c’est Hall qu’il veut. Les albums The Bridge, puis What’s New témoignent de cette collaboration féconde.

Féconds, les duos de Jim Hall avec le pianiste Bill Evans le furent aussi tant les deux hommes ont dialogué avec élégance dans ce périlleux exercice. C’est finalement dans cette configuration de petite formation, sorte de jazz de chambre, qu’excellait Jim Hall : duos avec Bob Brookmeyer ou avec les contrebassistes Red Mitchell ou Ron Carter, avec les guitaristes Pat Metheny ou Bill Frisell, avec le pianiste Enrico Pieranunzi…

UNE PROFUSION D’ALBUMS

Après une période, dans la deuxième moitié des années 1960, où il opte pour un travail régulier et bien payé dans l’orchestre du show télévisé de Merv Griffin, Jim Hall reprend une carrière qu’il mènera désormais sous son nom. Il enregistre, essentiellement en trio, une profusion d’albums pour CTI, Concord, Telarc…

Malgré des problèmes de dos ayant nécessité une intervention chirurgicale en 2008, Jim Hall poursuivait ses activités musicales, se produisant encore le 23 novembre dernier dans le cadre du Jazz At The Lincoln Center. Son épouse, Jane, psychanalyste était également compositrice. Le couple a une fille Devra Hall Levy, qui était l’agent de son père.

D’une humilité non feinte (il enregistra avec Red Mitchell, au piano, et le contrebassiste Red Kelly un disque sous le nom du Modest Jazz Trio), adepte de l’autodérision, Jim Hall aura laissé dans le jazz une trace impeccable et durable.

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