Lorsqu’un violon courtise une guitare… – L’Orient

Contre toute attente, un public nombreux est venu applaudir les deux musiciens sur scène, artistes appliqués et familiers du paysage musical libanais. Public nombreux sauf le corps professoral ou directionnel du CNSM. Heureux temps où Walid Gholmieh, entièrement devoué à son art et à sa carrière, ne ratait aucune de ces manifestations qu’il encourageait sans réserve et supervisait scrupuleusement. Pour une qualité de jeu et de programmation au-dessus de tout éloge.
Mais pour en revenir aux feux de la rampe, pour l’archet du violon, on nomme Ondin Brezeanu et pour les cordes de la guitare, on retrouve le talent de Megerditch Mikayelian.
Au menu à caractère vif, agrémenté de quelques moments de lyrisme moderne et relativement courts (50 minutes de prestation), des pages de Scheidler, Guilliani, Ibert, Gonzales, di Marino et Piazzolla.
Ouverture avec la Sonate en ré majeur pour violon et guitare de Christian Gottlieb Scheidler, musicien allemand aux confins du romantisme qui passait en son temps pour être un des virtuoses du luth et de la guitare. Trois mouvements (allegro, romanza et ronda) à la narration fluide, alerte et légère. Pour le premier mouvement, le violon a eu quelque mollesse traînant des sons gondolés, pour se reprendre par la suite et jeter, en tonalités précises, un vrai bain de fraîcheur sur l’auditoire puisque la mélodie lui incombait et tombait sous les phrasés de son archet…
Pour prendre le relais, le Duettino op 77, avec aussi trois mouvements (andantino, minuetto schersozo, rondo) alliant une grâce maniériste et une certaine atmosphère de danse de cour. Habile et doux compagnonnage des mesures entre rythmes et cadences bien balancés. Opus tout en images sonores charmantes et feutrées signé Guilliani, musicien italien issu d’une lignée de compositeurs grands voyageurs en Europe et tous doués dans l’art de gratter les cordes d’une
guitare.
Avec Jacques Ibert et son Entra’acte on pénètre dans la clarté et l’élégance de l’esprit français. Pour une mélodie suave et tout en teintes délicates et raffinées.
Et, brusquement, on passe les frontières de l’Hexagone pour se retrouver au pays de Lorca, mais en atmosphère de terre vaguement tzigane, avec les trémolos et les flambées de la Danza de los amantes efimeros de Francisco Gonzales. Un mélange coloré de souffle passionné et d’effusion où le violon larmoie, tempête et gémit, et la guitare, en notes chromatiques fines ou grands accords flamboyants, menace et chauffe.
Une « milonga », tout en volutes bien dessinées, chaloupée et sensuelle. Une œuvre alliant douceur et nonchalance, portant l’empreinte de Roberto di Marino pour une guitare volubile et véhémente qui, de toute évidence, a la part belle.
Pour conclure, voyage au cœur des plages sablonneuses, des corps portés par les rêves les plus fous et les nuits les plus torrides et les plus désabusées. Envolée entre lumière et pénombre vers l’Argentine d’Astor Piazzolla. Pour cela, deux œuvres presque mythiques (Café 1930 et Francanapa) dans d’adroits arrangements par Megerditch Mikayelian, pour l’absence du bandonéon. Mais la voix du poète du tango demeure intacte et
omniprésente.
Piazzolla, c’est un son, une atmosphère, un exotisme, un mal de vivre, une mélancolie, un spleen. Mais c’est surtout ce qui coule dans les veines et entre au cœur. C’est la langueur et la sensualité du tango. L’insaisissable beauté d’une mélodie luisante et fuyante comme une anguille.
Piazzolla, c’est à la fois une étincelle et un rêve, un rayon de soleil sur une peau nue et un regard éteint lorsque les paupières se ferment devant le brouillard des alcools et des narcotiques. Et cette combinaison des vibrations d’un violon et d’une guitare, d’un archet qui cravache ou caresse et de dix doigts qui pincent et forcent les cordes à échapper à la prison d’une boîte soudain source de magie et d’incantation, est tout simplement ici prodigieuse. Prodigieuse d’effets sonores à la fois irisés, denses et fourmillants de vie.
Même les deux interprètes se sont laissés prendre à leur propre jeu et ont subi le charme envoûtant et le magnétisme de ces notes qui ont brusquement, en tout égoïsme, comme un arbre trop grand, besoin de tout l’espace. Et on se fait tout petit pour leur donner justement la place et la prééminence.
Applaudissements et gerbe de fleurs. Ça méritait bien un bis. D’ailleurs simplement accordé. Même si le cœur n’y était absolument pas, vu les tristes circonstances. Mais la musique est toujours, en ces moments de désarroi, de débâcle, de deuil et de détresse, un don précieux, une consolation, une élévation, un refuge. Un refus de se laisser abattre et vaincre. Et, ce soir-là, musiciens et public ont plébiscité la vie.

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