Lotfi attar. Compositeur et guitariste Khaled et Mami ne sont pas une …

-Le fait de vous retrouver au Festival du diwan, ici à Béchar, cela vous évoque quoi ?

Je suis content d’être là. J’ai toujours voulu participer à un festival de la musique diwane. Malheureusement, on ne m’a jamais invité ni en Algérie ni au Maroc (Festival d’Essaouira). Je peux apporter un plus à cette musique. Je ne reste pas dans l’instrument traditionnel. J’aime bien ajouter les six cordes de la guitare aux trois cordes du gumbri. Avec la guitare (électrique), je peux jouer du diwan. Je me rappelle avoir joué avec une troupe de Mechria. Ils étaient une quinzaine sur scène avec des karkabous. J’avoue que je n’ai pas pu me retenir et j’ai joué de la guitare. C’était un véritable spectacle. Il y avait du gros son !

-Vous avez composé la bande originale du dernier film de Moussa Haddad, Harraga Blues. Comme s’est fait le travail avec le cinéaste ?

Moussa Haddad n’avait pas trouvé de compositeur pour préparer la bande originale du film. Il avait pensé à moi. N’oubliez pas que Moussa Haddad avait réalisé le premier clip de la chanson de Raïna Raï, Ya zina. J’ai vu des séquences du film avant de composer. Dans mon studio, j’ai suivi séquence par séquence pour préparer la musique qui va avec. J’ai fait quelque chose de nouveau. Je ne voulais pas faire de la musique à base de synthétiseur. J’ai composé la musique avec un esprit américain. Il faut bien faire évoluer le cinéma par la musique. Harraga Blues aborde un thème contemporain. Chacun aura son appréciation du film. Ce problème de migration clandestine est partagé par plusieurs pays. Le film est porteur d’un sens profond à mon avis.

-Est-ce une première expérience pour vous ?

J’ai déjà composé la musique de deux pièces théâtrales. J’ai composé aussi celle d’un documentaire sur la base-vie de Hassi Messaoud, réalisé dans les années 1990. Les Américains avaient d’ailleurs beaucoup apprécié…

-Quel pont peut-on dresser entre le diwan, en tant que musique, et le raï ?

Le pont peut exister grâce à la recherche. Je ne me suis jamais limité au raï. Si vous écoutez ma façon de jouer, vous comprendrez que je fais toutes les musiques. Je fais de l’andalou, du chaâbi… Cela fait longtemps que je fais du diwan, car j’adore ça. Je mélange un peu toutes les musiques du monde… jazz, blues, classique, etc. Je transforme la guitare en un instrument exceptionnel. Donc, je n’ai pas d’étiquette précise. J’ai fait certes du raï, mais pas que cela.

-Comment trouvez-vous la scène du raï aujourd’hui ?

Actuellement, la scène du raï ne ramène rien de nouveau. Elle a complètement chuté. Il n’y a qu’à écouter ce qui se produit. Des chants de cabaret, pas plus ! Il n’y a que du bruit, des cris, pas de chants, pas d’art. Et que trouve-t-on dans les paroles ? «Je vais lui ramener les gendarmes », «je vais le frapper avec un couteau»…  Cependant, le raï n’est pas totalement perdu, car ce genre de chant sans goût va disparaître. Le raï, le vrai, restera toujours vivant. Ne vous y trompez pas.

-Le chant de cabaret a-t-il massacré le raï ?

Le raï s’est massacré lui-même ! Le raï ressemble à un enfant propre qui a été sali. Et l’enfant refuse cela. Il va finir par se révolter.

-N’existe-t-il pas un problème de paroliers avec le raï actuel ?

Malheureusement, il n’existe presque plus d’instruction. La poésie melhoun a été mise de côté. Les textes qui ont un sens ont été abandonnés. Sans avoir de niveau, les gens écrivent des paroles. Ils se limitent alors à leur propre niveau et leur mode de vie. Les paroles écrites sont à leur image. Quand on écoute certaines chansons, on se dit : c’est cela l’avenir de ce pays ? Il y a aussi un certain environnement social. Dehors, dans la rue, il y a des ordures partout, des sachets… Donc, c’est normal qu’il existe une certaine culture à l’image de cet environnement repoussant. Je me rappelle que Raïna Raï puis Amarna se sont imposés sur la scène musicale algérienne avec des chansons de qualité. Il n’y a qu’à rappeler Zabana,  Rani Mhayer, Zina, Til tayla, Khelouni nebki… Des textes qui évoquent les questions réelles que la société se pose…

-Cette dégradation de qualité incombe à qui ? Aux artistes ou aux producteurs ?

Cela est lié à l’état d’esprit de l’Algérien aujourd’hui. Il veut tout vivre, tout avoir : les crédits Ansej (microentreprises), la voiture… L’Algérien est devenu égoïste. Dans le milieu artistique, je vois tout cela. Je vois comment ça fonctionne. On n’ira pas loin avec cette mentalité.

-Existe-t-il une relève dans le raï ?

Je ne sais pas quoi dire ! Pour moi, Khaled n’est pas une école, Mami non plus. Khaled est une voix, autant que Mami. Mais ce ne sont que des voix. Les voix ne peuvent pas construire un style. C’est l’affaire des musiciens. Il faut le rappeler. Il appartient donc aux musiciens de procéder au changement. Raïna Raï et Amarna sont, qu’on le veuille ou non, une école de musique. Les jeunes musiciens doivent apprendre sans cesse, ne pas se lasser de faire des répétitions. Il faut refaire mille, deux mille fois, l’essentiel est d’apprendre la maîtrise de l’instrument et le jeu. Notre apprentissage a été dur, mais le résultat est bel et bien obtenu. L’école Raïna Raï a apporté une structure musicale dans le raï, le diwan et d’autres musiques. A l’époque, les gens étaient étonnés que je joue un quart de ton avec la guitare ou que je joue du gnawi avec la même musique. Chez nous, la presse doit s’intéresser davantage à la musique et au travail des musiciens. Cela peut contribuer à l’amélioration de la qualité (…) Raïna Raï était pour nous une façon de vivre, une démocratie !

-Reprendre le projet Raïna Raï est-il encore possible aujourd’hui ?

La dernière fois, nous avons failli reprendre le projet. Aujourd’hui, cela m’étonnerait fort. Nous allons laisser les choses se tasser un peu. On en parle avec Kaddour Bouchentouf, un des éléments de Raïna Raï (…) Nous revendiquons la légitimité des enfants de Raïna Raï. Cela concerne autant les artistes que les journalistes. Raïna Raï est un groupe mythique. Le regroupement doit se faire en bonne et due forme, pas n’importe comment. Avec Amarna, nous avons introduit la poésie melhoun (Hamida Attar, épouse de Lotfi, rappelle que Amarna a touché un public d’un certain âge. Hamida avait notamment écrit Masrana,  Khelouni nebki ala rayi, Maâouila ala Baris. Selon elle, plusieurs chansons d’Amarna n’ont pas eu le succès escompté, faute de producteurs, à l’image de Ma dert walou.

-Vous avez composé la musique du prochain film de Lyès Salem,  El Wahrani… 

J’ai effectivement participé à la composition de la musique de ce film avec Amazigh Kateb, qui a chanté. Il m’a envoyé la bande. Je l’ai écoutée, coupée au studio quatorze secondes puis ajouté un morceau aux fins d’équilibrer le tout. Il s’agit d’une musique de style oranais avec une touche de quart de note. Parallèlement, je fais une recherche sur Zwit erwit  le tube d’Idir. Ce morceau-là, je le vois beaucoup plus jazz. Zwit erwit prendra une autre extension. Il y aura une reprise de Ghoumari. Il y aura une reprise de  Massralna et également  l’hymne international du diwan, un morceau que j’ai composé en 2004. C’est un morceau instrumental, où l’on retrouve un peu la musique martiale. Je reprends aussi une chanson d’El Anka en hommage au maître du châabi et à Mustapha Toumi. El Anka va chanter dans cet album d’une manière virtuelle. Une manière d’exprimer du respect vis-à-vis de cet artiste

-Quand est-ce que l’album sera prêt ?

Peut-être vers la fin de l’année. Il y aura une nouvelle composition qui s’appelera Tikjda. Je rendrai hommage aussi à Hassan Hassani avec le fameux «Tigoul», à El Hadj M’hamed El Anka et à Cheikha Djenia. Je devais faire un travail avec Djenia. Malheureusement, elle est décédée avant l’aboutissement du projet musical. Cela dit, je pourrai toujours reprendre sa voix et retravailler des morceaux. Le prochain morceau en hommage à Djenia aura pour titre Hadhi denia. Là, je suis sur un cap différent de ce que je faisais avant. Je tente de ramener quelque chose de nouveau. Il y a toujours une manière, un instrument et jouer quelque chose de différent (c’est une affaire de cordes et de perscussions, a estimé Hamida Attar). Je peux dire que je suis à quatorze mesures, chose assez rare. Dans le prochain album j’ai introduit aussi un morceau allaoui, mais avec une autre rytmique. Je n’ai pas oublié le raï. Idem pour Sidi Bel Abbès avec  Petit Paris, en hommage à la ville des années 1960. J’ai revisité les morceaux avec un esprit local.

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