Mort de JJ Cale, un "guitar hero" très discret

Le guitariste J.J. Cale, lors d'un concert en 2006.

Une poignée de ses chansons étaient devenues des classiques du répertoire country-rock moderne (After Midnight, Magnolia, Cocaine, Call Me The Breeze, Crazy Mama, Sensitive Kind, Cajun Moon, Don’t Cry Sister, Ride Me High…), dont certaines connues du grand public par les reprises faites par d’autres artistes. Comme guitariste, il était considéré comme l’un des plus sûrs représentants du style dit laid back (terme venant du jazz évoquant un jeu décontracté, avec un placement légèrement en arrière du temps, pas nécessairement sur un rythme lent). Chanteur à la voix tranquille et nonchalante, en accord avec son phrasé d’instrumentiste, John Weldon Cale, dit J. J. Cale, est mort, vendredi 26 juillet, en début de soirée, au Scripps Hospital de La Jolla, à San Diego (Californie), ou il avait été admis après un arrêt cardiaque, a annoncé, dans un communiqué diffusé samedi 27 juillet, l’agence artistique californienne The Rosebud Agency. Il était âgé de 74 ans.

Dans les rares entretiens accordés en plus de quarante ans de carrière, J. J. Cale devait souvent donner son avis sur le qualificatif de paresseux qui était régulièrement accolé à son nom. La “faute” à une production phonographique non pléthorique – mais quand même riche de seize albums en studios publiés entre 1971 et 2009 – et à des intervalles parfois importants entre ses tournées. Dans le magazine Guitare et clavier de juillet-août 1993, il s’en amusait : “Il faut bien coller une image à un artiste pour vendre des disques, on m’a attribué celle du mec qui écrit des chansons en solitaire chez lui, sans trop se presser. Ma supposée paresse semble être un très bon outil pour commercialiser mes albums.”


S’il admettait ne pas brusquer les choses, c’était par souci de bien servir sa musique. Né le 5 décembre 1938 à Oklahoma City (Oklahoma), J. J. Cale – le patron d’un club suggéra à Cale, qui se produisait à ses débuts sous le nom de Johnnie Cale, de prendre cette double initiale comme prénom – va vivre son adolescence et ses premiers pas d’artistes à Tulsa, au Nord-Est de sa ville natale. Issu d’une famille modeste, il a appris la guitare à l’écoute de musiciens de jazz swing, de blues et de rockabilly – il cite Chet Atkins, Les Paul, Django Reinhardt, Hank Williams et Jimmy Red comme ses influences. Il joue avec des formations locales dans les bars et les clubs, commence à écrire ses propres chansons. En 1959 J. J. Cale part pour Nashville (Tennessee) dans l’espoir – déçu – d’y vendre ses compositions : “J’adore jouer, mais ce n’est pas en jouant que tu paies ton loyer. Mon truc a toujours plutôt été d’écrire des chansons. Il y a des artistes bien meilleurs que moi pour les interpréter.”

A Tulsa, où il est revenu, il fait la connaissance du pianiste Leon Russell. Ce dernier va convaincre J. J. Cale de le rejoindre à Los Angeles (Californie) en 1964. Il apprend auprès du producteur et ingénieur du son Snuff Garrett les techniques d’enregistrement, participe à diverses séances comme guitariste, monte des petits groupes ou se produit seul, sans résultats probants. Il enregistre une poignée de 45-tours, sans succès, dont l’un en 1966 avec le morceau After Midnight en face B. Reparti à Tulsa, il entend un jour sa chanson à la radio interprété par Eric Calpton, star britannique de la guitare, surnommé “God”, dieu, par ses fans. On est fin 1970 et l’After Midnight de Clapton est un tube. L’éditeur de musique Audie Ashworth insiste alors pour que Cale enregistre un album. Ce sera Naturally, qui sort en décembre 1971 sur Shelter Records, compagnie phonographique fondée par Leon Russell et le producteur anglais Denny Cordell.

On y trouve une nouvelle version d’After Midnight, des thèmes de références comme Crazy Mama ou Magnolia, et toute la manière de J. J. Cale, en homme tranquille de la musique, économe de ses effets, tricotant des entrelacs de guitares, posant sa voix traînante. Ambiance country et blues, avec toujours cet ancrage swing qui donne une sensation de chaloupement. Si l’ensemble est plutôt dépouillé, deux chansons, Woman In Love et Bringing It Back, font entendre des cuivres. Les revenus d’After Midnight par Clapton et le succès en single de Crazy Mama offrent à J. J. Cale davantage de moyens. Il enregistre son album suivant Really (qui paraîtra en décembre 1972) dans cinq studios différents, à Nashville et Muscle Shoals (Alabama), avec en tout près d’une trentaine de musiciens. La chanson d’ouverture, Lies, est aussi un succès. Pour autant, le résultat sonore ne donne pas dans le clinquant. L’album Okie, sorti en avril 1974, avec la chanson Cajun Moon, suivra, en partie enregistré dans la maison de J. J. Cale à Tulsa.

Avec la parution, en septembre 1976, de l’album Troubadour et son lot de compositions bien tournées comme Hey Baby, Travelin’ Light ou Ride Me High, J. J. Cale, qui est parti vivre à Nashville, va connaître un nouveau succès grâce à Eric Clapton, qui reprendra, en ouverture de son album Slowhand (novembre 1977), ce qui restera comme la chanson la plus connue de J. J. Cale, Cocaine. La réputation de J. J. Cale a grandi. Il va devenir l’objet d’un culte fervent de la part d’un public certes restreint, en Europe (France, Grande-Bretagne et Allemagne) et aux Etats-Unis, mais qui lui permet de vendre au cours des années suffisamment de disques et de places de concerts pour assurer ses besoins sans avoir à faire de concessions. “La célébrité ne m’intéresse pas”, dit-il sur son site Internet (jjcale.com). Les tentatives de certains de ses producteurs de lui faire écrire des tubes à la commande ou de multiplier les tournées se heurteront à un refus plus ou moins poli.

J. J. Cale mènera ainsi une carrière discrète. Il enregistre quand il a le nombre adéquat de chansons et d’idées d’arrangements, n’apparaît sur une pochette de disque que lors de la sortie de l’album #8 (son huitième, sorti en 1983). Ses disques, que l’on peut trouver un peu monotones, font entendre de subtiles évolutions : ici, des chœurs et des cordes (5, août 1979) ; là, une mise en avant de son chant (Grasshopper, mars 1982) ; ailleurs, une couleur rock plus affichée (Travel-Log, février 1990)… S’il laisse s’installer une image de reclus, barbe en laisser-aller et vie à l’écart des bruits de la ville, comme l’indiquent tous ceux qui travaillent avec lui, il se tient au courant des dernières techniques d’enregistrement et se révèle très méticuleux dès qu’il s’agit de valoriser sa musique, sur disque ou sur scène. A cet égard son album To Tulsa and Back (juin 2004) est probablement le plus sophistiqué.

Clapton (avec qui il enregistre un album paru en novembre 2006, The Road To Escondido) et Mark Knopfler, fondateur du groupe Dire Straits, louent de longue date son talent de guitariste. Pour Neil Young, il est “le meilleur avec Hendrix”. J. J. Cale ne faisait pourtant rien pour se mettre systématiquement en avant ou proposer des parties solistes flamboyantes. Mais il restera pour nombre d’instrumentistes un modèle, par son jeu précis, fluide et son discret lyrisme mélodique. Un guitar hero dans une version impressionniste.

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