Paco de Lucía, père de toutes les révolutions de la guitare flamenco

Pourquoi de nombreux guitaristes et amateurs de flamenco se disent-ils orphelins aujourd’hui ? Pourquoi le décès de Paco de Lucía a t-il été un tel choc pour tant de gens ?

Certes, sa disparition a été soudaine et il est relativement jeune. Renommé et célèbre partout dans le monde, il a reçu de nombreux prix au cours de carrière. Mais il est surtout reconnu pour les véritables révolutions musicales qu’il a suscitées.

Son premier apport au monde du flamenco a été la reconnaissance de la guitare. Ses maîtres Niño Ricardo et Sabicas lui ont ouvert la voie mais Paco et son père Antonio ont largement contribué à consolider la figure du guitariste soliste. Ils ont ainsi insisté pour faire ajouter la mention « avec la collaboration spéciale de Paco de Lucía » sur les disques enregistrés avec le chanteur Camarón.

Avant eux, les guitaristes du flamenco passaient inaperçus, accompagnateurs anonymes des chanteurs et danseurs.

Dans sa jeunesse, Paco de Lucía, jeune homme obstiné, passe des heures enfermé dans sa chambre à pratiquer la guitare. Il révolutionne la technique de la guitare de flamenco en posant son pied droit sur un support pour tenir son instrument et non son pied gauche comme le font les joueurs de guitare classique et comme l’ont toujours fait ses prédécesseurs.

Dans cette position, la guitare s’installe à l’horizontale, s’éloigne du corps et laisse plus de place à la main sur le manche. Cela permet de jouer des mélodies et des accords jusque-là impossibles.

Musicalement, Paco de Lucía ne renie absolument pas le classique. Bien au contraire. Il s’approprie le répertoire de Joaquín Rodrigo et Manuel de Falla et inclut des techniques propres à la guitare classique pour enrichir celle du flamenco.

Mais sa plus grande révolution, c’est avec le chanteur José Monge Cruz « Camarón » qu’il la fait. Ensemble ils sortent le flamenco des petites salles de cafés et de cabarets et le font resplendir sur les scènes des plus grands théâtres des capitales du monde entier. Ensemble, ils s’extirpent des studios d’enregistrements poussiéreux tenus par des amateurs ou des ethnomusicologues, pour enregistrer dans ceux des plus grandes maisons de disques.

Les aficionados et puristes ne se privent pas de les critiquer vertement.

Plus tard, en solo, Paco de Lucía ne cesse de bousculer le genre.

Il s’autorise des percussions, jusqu’alors limitées à d’autres musiques, ainsi que la basse électrique, notamment sur son titre à succès « Entre dos Aguas ». D’un voyage au Brésil, il rapporte le cajón péruvien – depuis appelé cajón flamenco ! – et un percussionniste brésilien, Rubem Dantas, avec qui il forme un sextet de légende qui fera plusieurs fois le tour de la planète, durant presque vingt ans.

Son association avec les guitaristes Al di Meola et John McLaughlin, pour faire dialoguer leurs instruments malgré des styles musicaux et des techniques différentes, a aussi été un acte révolutionnaire.

Fatigué du poids de la célébrité, il se retire un temps au Mexique. Mais à son retour en Espagne à Tolède, il reprend la révolution là où il l’avait laissée en sortant l’album Luzía, qu’il dédie à sa mère et dans lequel il chante pour la première fois.

Il poursuit ses nombreuses collaborations et tournées, produit d’autres artistes pendant encore plusieurs années. Puis il étonne encore une fois le monde entier avec son album « Cositas buenas » dans lequel il révolutionne à nouveau le rythme, la mélodie et la technique de la guitare. Il est couronné d’un Grammy Awards pour cet album.

« Canción andaluza » sera son dernier album. Presque terminé, il devait sortir fin avril. Cette œuvre posthume, consacrée à la « copla, la chanson traditionnelle espagnole, sera, à n’en pas douter, une dernière révolution…

Et c’est pour toutes ces raisons qu’aujourd’hui les guitaristes et passionnés de flamenco se sentent orphelins.

Avec la contribution de Marie Jamet

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