Cauvin, Mouratoglou… La guitare classique joue l’ouverture

Le 15 janvier, le chai du Château Lafite Rothschild, célèbre premier grand cru du Médoc, sera le théâtre d’un étrange spectacle. Le guitariste français Thibault Cauvin a en effet choisi d’investir ce lieu d’exception, vaste dôme circulaire souterrain, construit sous la supervision de l’architecte Ricardo Bofill en 1987, pour y défendre en récital le programme de son dernier album solo chez Sony Masterworks, Le Voyage d’Albéniz. Un disque de transcriptions des plus célèbres pièces du compositeur espagnol, interprétées avec une palette de couleurs infinies et d’une rare subtilité.

Ce concert est un retour aux sources, puisque le Bordelais de 30 ans (nommé il y a quelques années ambassadeur artistique de Bordeaux Métropole) y a enregistré son dernier disque. «J’avais envie qu’il sonne comme une invitation au voyage, explique-t-il. Or il se trouvait que ce chai combine parfaitement cette sensation souterraine d’ailleurs à une acoustique exceptionnelle.»

Trouver des lieux en adéquation avec l’esprit de la musique et en dehors des circuits traditionnels… c’est l’une des missions que s’est fixées Thibault Cauvin, bardé de treize prix internationaux. Par conviction. Car celui qui a déjà donné plus de 1 000 concerts dans 120 pays le répète: «Lorsqu’on a la fierté d’avoir pour frères Jimi Hendrix et Django Reinhardt, on ne peut rechigner à créer des espaces de rencontres inédits.» Mais aussi par nécessité. Parce que «la guitare, dans sa version moderne, est un instrument classique jeune, qui n’a pas encore trouvé sa place dans les grandes salles aux côtés des instruments rois».

Confirmation auprès d’Olivier Cochet. Le directeur classique et jazz chez Sony Music France souligne ce paradoxe: «Nous avons la chance dans notre pays d’avoir des ambassadeurs reconnus dans le monde entier. Et en même temps, la guitare classique est l’instrument qui touche la niche la plus fermée… Tant du point de vue discographique que des salles de concerts.»

Frilosité des grandes salles

Cette saison, pour vingt-quatre concerts dédiés au piano au Théâtre des Champs-Élysées, à Paris, la guitare n’aura eu que deux dates. Et la guitare classique une seule: le Concerto d’Aranjuez joué par la star mondiale de l’instrument, le Monténégrin Milos Karadaglic. Un bien étrange rapport de force, si l’on songe que selon la dernière enquête du ministère de la Culture sur les pratiques en amateur, la guitare est l’instrument numéro un dans le cœur des Français: 39 % des musiciens amateurs la pratiquent, contre 31 % pour le piano. Dans la dernière statistique de la Chambre syndicale de la facture instrumentale, la guitare acoustique représentait encore, en volume, la plus grosse part du marché français des instruments de musique, soit 36 % (contre 1 % pour le piano)!

«La guitare est aussi le deuxième instrument le plus étudié dans les conservatoires», renchérit l’instrumentiste Philippe Mouratoglou. Cet «oiseau rare de la six-cordes», comme il se définit, qui a réussi à équilibrer sa carrière entre la pratique classique et d’autres genres (jazz, flamenco, improvisation), estime que la frilosité des grandes salles de concerts classiques ne tient pas qu’à des problèmes de jauges et de puissance de l’instrument. «Aujourd’hui, la sonorisation des guitares classiques a fait de tels progrès qu’elle est quasiment imperceptible.» Ce que confirme Thibault Cauvin. Il a travaillé, cinq années durant, avec son luthier et plusieurs ingénieurs pour mettre au point un système de sonorisation sans fil capable de s’adapter aux équipements techniques les plus répandus. Pour Mouratoglou, la guitare classique souffre d’un problème d’image. «Son cousinage avec les musiques populaires et l’absence de grand répertoire écrit pour elle au XIXe siècle fait que les grands orchestres et les programmateurs peinent à la percevoir comme un instrument classique ; elle a pris l’habitude de fonctionner en milieu fermé.» C’est pour briser ce cercle et forcer les rencontres qu’il s’est forgé une identité plurielle, multipliant les collaborations tous azimuts. Comme dans le spectacle poétique Sur le fil, donné cet automne au Théâtre de l’Athénée, à Paris: un «conte sans texte pour lumière, guitare classique, son et objets animés» conçu avec l’éclairagiste Patrice Besombes et la musicologue Hélène Thiébault. Un pari d’ouverture qui commence à porter ses fruits, comme en témoigne le concert pour 100 guitares programmé le 20 février à la Philharmonie de Paris.

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