Éric Goulet: une mine de chansons dans le trou de sa guitare

Le country n’est surtout pas un « exercice de style » pour le vétéran chanteur-guitariste- réalisateur : plutôt la trame de son road movie de musique. Entrevue à la maison.

Jasette de cuisine chez Éric Goulet. Dans la clarté du jour, le Keith Richards du rock québécois est exactement le même que le soir dans un club, à cela près qu’il vaque à d’autres activités. Fait le café. Range un peu, pour la forme. Me parle du bébé qui commence à faire ses nuits. « À vingt mois, c’était pas mal le temps… » Je regarde la mosaïque de photos de famille, tableau de ses amours. Country kitchen de l’autre bord du parc Maisonneuve.

 

En arrivant, tour du propriétaire, on a été au sous-sol voir le studio, installé « plug’n’play » : y’a qu’à se brancher et à jouer. « C’est ce que je rêvais d’avoir. Mon sous-sol tout équipé. » Des guitares partout, des amplis, dont un beau Vox, une batterie, un piano droit, une affiche de cases agrandies de Tintin entre les deux fenêtres, une horloge Beatles (à partir d’un vinyle) au mur d’en face. « Avant, j’ai eu tout ça dans un chalet. Mais c’était moins band de garage comme sensation. Ici, je suis comme un ado qui n’en revient pas, qui a juste à descendre et à jouer. Mais faut que ça serve : à part des overdubs, une piste à refaire, je joue pas tout seul. La musique, c’est pour en faire avec d’autres. Moi, ç’a toujours été ça. »

 

Quasiment le band d’Elvis

 

Avec Possession Simple, avec Les Chiens, même en Monsieur Mono, dans ses réalisations d’albums d’autrui (le dernier Michel Rivard, le prochain Pierre Flynn…), à plus forte raison en tant qu’Éric Goulet, chanteur country, le gaillard a été et demeure un grégaire. « Pour moi, la musique est un plaisir de gang. J’ai eu un band avant d’avoir des tounes ! Et là, pour le volume 2de mon projet country, j’ai eu le luxe — la luxuriance ! — d’avoir Les Chevals de feu littéralement en feu pour l’enregistrement : on sortait de tournée. Prêts comme jamais ! »

 

Tel le fabuleux groupe d’élite d’Elvis dans les années 1970, si j’ose dire : James Burton, Jerry Scheff, Ronnie Tutt et compagnie. Presley avait des albums à remplir et peu de temps à perdre, ça y allait treize à la douzaine : let’s do the damn songs… « Les gars étaient capables. On se comparera pas au band d’Elvis, mais je comprends le feeling. Avec les Mountain Daisies, Ariane [Ouellet] et Carl [Prévost], avec Rick Haworth au pedal steel, avec Mark [Hébert] et Vincent [Carré] pour tenir ça ensemble basse-batterie, on a enregistré l’album en deux après-midi. Sans problème. »

 

Mode solution et règne de la débrouillardise : ça s’est fait fin septembre 2012 dans les plates-bandes du disque des Daisies (coréalisé par Goulet), dans le studio Piccolo encore chaud, avec les mêmes ou presque. « Pour le volume 1,j’inventais un band dans ma tête en faisant mes maquettes. Et puis le band s’est concrétisé, on a roulé tout l’été 2012 à travers le Roseq — tout un privilège au Québec de nos jours, à six musiciens, la caravane ! — et j’avais le band plus qu’en tête en composant les chansons. On les essayait en show, à mesure. La grande évasion, je venais de la composer sur le texte d’Alexandre [Belliard]. On l’a montée à L’Anse-à-Beaufils dans l’après-midi : le soir, on la jouait. »

 

La beauté de la manière country

 

Ça donne un volume 2 où Goulet, à la tête de ce poste sans peur, se frotte sans gêne à l’écriture la plus country qui soit, ce code à première vue un peu contraignant de la métaphore poussée dans ses retranchements : pas sûr qu’au volume 1, où il appelait les grands Marcel Martel et Paul Brunelle à la rescousse de l’authenticité du propos, il aurait osé Le trou de ma guitare : « Je suis tombé dans le trou de ma guitare / C’est l’endroit le plus loin de toi qu’il puisse y avoir / Tu m’as fait mal / Tu m’as fait mal / Alors je resterai caché dans le trou de ma guitare ».

 

La trouvaille ! Comment se peut-il que les millions de chanteurs country, s’accompagnant presque tous à la Gibson acoustique, n’aient pas pensé à cette cachette du coeur juste sous leur nez ? Faron Young a chanté sa solitude à ses murs (Hello Walls), George Jones a comparé son histoire d’amour à une course de chevaux (The Race Is On), mais point de trou. « Je suis vraiment tombé dedans ! Je me suis réveillé un matin avec la toune… » L’intégration d’un genre jusque dans le subconscient. « Ça arrive que des musiciens rêvent à leur show du lendemain et c’est un cauchemar, un classique… Mais une chanson qui t’arrive comme ça, complète, tu fais des recherches pour être sûr qu’elle vient de toi. Après, t’es juste content. Une fois que t’as l’idée, la toune est faite, t’as juste à aller au bout de l’histoire. C’est toute la beauté du country. Très libérateur pour un auteur-compositeur. »

 

Et comme on peut se prêter à l’écriture country autant que prêter son écriture au country, Goulet a inclus des relectures de ses propres immortelles de la chanson rock underground : l’hymne Comme un cave, de Possession Simple, et la dernière chanson du premier album de Monsieur Mono, Pleurer la mer morte. « Il y a une majorité de nouvelles chansons, ce qui était le pas suivant par rapport auvolume 1,où je rapatriais mes chansons écrites pour d’autres parmi les reprises des pionniers, mais je tenais aussi à faire des liens avec le reste de ma vie de musique. » Il y a aussi une reprise de la fameuse Lucille, adaptation Tex Lecor, juste parce que « le texte est tellement émouvant ». Goulet ajoute : « Ce qui importe pour moi, c’est que l’on comprenne que ce n’est surtout pas un exercice de style. C’est moi autant qu’avec Les Chiens, autant que Monsieur Mono. » Son éternelle chemise country, qu’aurait pu porter un Gram Parsons autant qu’un Porter Wagoner, en fait foi : « C’est pas pour rien que ce coup-ci, il y a ma photo sur la pochette. Je m’assumais déjà, là je m’affiche. »
 

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