Philippe Cauvin, guitare de traverse

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hilippe Cauvin a un peu du vieux sage indien, ouvert, tendre et mystérieux. Après trente ans de silence discographique, « Voie nacrée » signe le retour du guitariste… guitariste quoi, au fait ? « Le rock, j’ai oublié depuis longtemps », résume Philippe Cauvin, qui avait créé en 1976 le groupe de rock progressif Uppsala. Il a délaissé la guitare électrique dans ces années-là pour la guitare classique.

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Classique ? « Certainement, explique-t-il. La musique classique contemporaine m’influence énormément. J’ai joué ce répertoire, le baroque, le luth élisabéthain. Le jazz actuel, le « nouveau jazz », est celui que j’écoute le plus. Je vais chercher le meilleur de chacun pour agrandir le cercle, abaisser les barrières entre les musiques. Je fais une musique de traverse. »

Frappé de dystonie

Philippe Cauvin a toujours été un original. A chaque album (« Memento » et « Climage » réédités par le label Musea), les admirateurs et commentateurs ont salué sa virtuosité et cherché les mots pour décrire sa musique : « lunaire », « inclassable », « mystique »… S’il croit en Dieu (« à 61 ans, je peux le dire ! »), il n’a pas l’intention de convertir par la musique, mais veut bien « envouter celui qui l’écoute » avec des sonorités de guitare sensuelles, très travaillées, minimalistes parfois.

Les huit pistes de « Voie nacrée » sont mélancoliques, mystérieuses, grinçantes, surprenantes. Philippe Cauvin pince les cordes, frotte et tapote son instrument, entame des mélodies qui disparaissent aussi vite. En cela on reconnaît l’influence du contemporain. Philippe Cauvin chante d’une voix brute de haute-contre un langage inventé fait d’onomatopées musicales. L’influence du groupe de rock Magma n’est pas loin.

Ce langage unique s’est construit tout au long d’une carrière qui ne fut pas un long fleuve tranquille. Philippe Cauvin a été frappé de dystonie, cette « maladie du musicien » qui provoque des contractions musculaires involontaires. « La dystonie est psychologiquement redoutable : d’un coup on ne peut plus jouer. Sur dix pas qu’on veut faire, huit seront à côté de la route. Aujourd’hui je ne suis plus inquiet. C’est un moteur, me demandant d’aller sur des chemins qui n’auraient jamais été explorés. Il m’a fallu travailler sur le relâchement du corps. Dans “Voix nacrée” l’improvisation prend une part assez importante. Bien sûr, il s’agit d’une improvisation à partir de formes travaillées mais, comme il n’y a pas de calcul, je piège la dystonie ! ».

Dans le livret du disques cette résilience est mise en mots par Sandra Pécastaingts, une de ses élèves. Outre ses deux fils également guitaristes (Jordan côté jazz et Thibault côté classique), Philippe Cauvin aime transmettre aux apprentis musiciens « comment être eux-mêmes ».

Séverine Garnier

« Voie nacrée » (Musea). http://www.musearecords.com

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