Thibault Cauvin, guitariste affûté

Les vignes en coteaux du Château Lafite Rothschild s’étendent à perte de vue. A l’intérieur du chai dessiné par Ricardo Bofill, Thibault Cauvin enregistre son nouvel album. Le précédent, constitué de transcriptions de sonates pour clavecin de Scarlatti, avait été enregistré en studio et sonnait sec et mat, afin de mettre en relief la rhétorique baroque.

Pour Albéniz (1), voyage dans l’univers du compositeur espagnol (1860-1909), qui écrivit pour le piano mais a connu la célébrité grâce aux innombrables transcriptions pour guitare de ses œuvres, Thibault Cauvin souhaitait une acoustique plus chaleureuse qui exalte la riche palette de nuances et couleurs. Pendant trois jours, il grave ses propres transcriptions de Asturias, Mallorca, Cataluña, Sevilla, Granada, Castilla, Cuba, Aragon, Cádiz et Córdoba, seul au milieu des fûts. Dans une pièce attenante, où l’ingénieur du son a installé console et enceintes, son père, Philippe Cauvin, écoute attentivement. C’est ce dernier, guitariste de rock dans les années 70 avant de bifurquer vers le jazz, qui a initié Thibault à l’instrument. «Toute la famille était dans la musique, hormis ma mère, prof de lettres, qui heureusement tenait la barre.» Son deuxième professeur fut Olivier Chassain, qui enseignait aux conservatoires de Bordeaux et de Paris.

Adolescent sportif, Thibault se partage entre le surf à Lacanau et les concours internationaux. Il en remporte treize, un record historique. «Je suis devenu le Federer de la guitare, retrouvant mes rivaux brésiliens ou japonais aux quatre coins de la planète. La pression était énorme : dix minutes pour se qualifier devant 80 guitaristes qui avaient dix ans de plus que moi. C’était un peu fou, mais j’ai toujours pris la vie comme un jeu, même si je travaille l’instrument huit heures par jour.» A 20 ans, il arrête les concours. «Ça m’a manqué au début, mais il fallait que je développe mon identité artistique, explique-t-il. Enfant, j’allais à des concerts de rock et de jazz, et je me suis dit qu’il fallait que je joue la musique classique comme si elle avait été composée aujourd’hui.» C’est pourquoi, après avoir livré plusieurs albums de répertoire, Thibault Cauvin a publié Cities, constitué de compositions nouvelles cosignées avec des musiciens de styles et d’âges différents, reflétant ses rencontres avec d’autres cultures. Il y capte l’esprit d’Oulan-Bator, Istanbul, Kyoto et Calcutta, et fait sonner sa guitare comme un oud, un sitar ou un koto. Pour préparer Albéniz, il s’est retiré tout l’été chez son père, en Espagne, puis dans un village de pêcheurs et de surfeurs, proche d’Agadir, dans le sud du Maroc.

A peine achevé l’enregistrement, il reprenait sa «tournée sans fin», à l’instar d’un Bob Dylan. En dix ans, il a donné plus de 1 000 concerts dans 117 pays. «Je n’ai pas d’appartement, je vis sur les routes, avec ma guitare et mon ordinateur. Ça me donne un sentiment de liberté»,sourit-il. S’il est plus connu à Shanghai et New York qu’à Paris, Thibault Cauvin veut redonner à ses compatriotes le goût de la guitare classique : «On a toujours eu d’excellents guitaristes en France, de Reinhardt à Manu Codjia. C’est l’instrument populaire par excellence, le plus joué dans le monde.»

(1) «Le Voyage d’Albéniz» (Vogue/Sony Classical).

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