Une BD sur l’air guitare : plus qu’un jeu, toute une philosophie

Couverture de l’album « Love is in the Air Guitare » (Le Quellec / Ronzeau / Delcourt)

Mais d’où provient cet irrépressible besoin, chez des millions d’ados adorateurs de rock’n’roll, de mimer une intro ou un solo de guitare au moment de son écoute ? De son irrésistibilité, bien sûr !

Les décharges sonores et mélodiques l’emportent souvent sur la raison et les conventions sociales – et puisque le ridicule ne tue pas, il arrive qu’il nous rende plus forts.

Paul Nasseri vient d’avoir son bac. Il aimerait sortir avec la fille la plus canon du quartier qui n’en pince que pour Keith, le guitariste d’un groupe local. Paul est fan de Jimi Hendrix, et bien qu’il n’ait jamais touché une guitare de sa vie, il en ressent les vibrations jusque dans le moindre de ses muscles.

Ernest, qu’il rencontre dans un bar le soir d’un concert de Keith, voit Paul s’agiter avec grâce et énergie au pied de la scène. Julie embrassera Keith à la fin de la soirée, mais Ernest aura entrevu chez Paul un talent qu’il ignore : l’« airness ».

Extrait de l’album « Love is in the Air Guitare » (Le Quellec / Ronzeau / Delcourt)

L’airness est à l’air guitariste ce que la Force est au jedi, mais si vous pensez que l’air guitare est à l’amour ce que la masturbation est à la musique, c’est que vous n’avez rien compris !

L’airness, c’est cette puissance mystique qui transcende les joueurs de air guitare, qui leur insuffle énergie et transe, qui les enivre d’une agilité et d’un rythme à faire pâlir les acrobates les plus souples !

Pour les amateurs de flamenco (dont la version air guitare est bien différente de celle du jazz manouche ou du blues), ce serait l’équivalent du « duende », ce lutin qui inspire ses adeptes.

Paul, à qui son frère promet par ailleurs un bel avenir dans l’expert-comptabilité, décide de tout plaquer pour rejoindre Ernest, qui n’est autre que le gourou fondateur de la Air Family, une étrange secte composée de toutes sortes d’énAIRgumènes tels que Guy Debair, Air Gé, Air Derien ou Prune. Tous vouent à l’air guitare un culte qui n’a rien de fumeux.

L’air guitare n’est ni une sous-guitare, ni une thérapie pour adulescents atteints de Parkinson. C’est un instrument à part entière, une philosophie et un art en soi, dont Jimi Hendrix a montré la voie lors de sa mythique prestation du 18 juin 1967 à Monterey. S’il a brûlé sa guitare, selon Ernest : « C’était pour nous montrer que l’avenir de la guitare était l’Air guitare, la guitare sans guitare ! »

Le geste d’Hendrix avait quelque chose de postmoderne : par le sexe et le feu, il faisait du passé table rase, et inaugurait la possibilité d’un rock abstrait.

La présence du fantôme d’Hendrix en couleurs aux côtés d’un Paul en noir et blanc, les gesticulations d’autant de personnages dans des situations à la limite de l’absurde, l’évocation de la musique par l’absence d’instrument, la narration épique et naïve de la métamorphose d’un adolescent frustré en un adolescent comblé par la discipline que lui impose sa passion : « Love is in the air guitare » ne brasse pas que du vent !

Certains éléments de récit peuvent être particulièrement percutants, comme ces quelques pages où Paul se morfond dans l’« open space » de l’entreprise où il est en stage.

Il rêvasse et le cliquetis du clavier devient piano, le tchik-tchik du stylo qu’on tapote sur un coin de bureau se fait batterie, et le geste du cadre qui époussette de sa cravate des miettes de sandwich évoque celui d’un guitariste sur ses cordes.

Eprouver visuellement cette transformation par l’imagination d’un bruit en son, puis d’un son en mélodie, voilà l’une des réussites indéniables de cet album.

Il fallait du cran à Le Quellec (au scénario) et à Romain Ronzeau (au crayon) pour oser aborder un sujet aussi débile que jubilatoire avec autant de sérieux. II faut dire que le propos est dans l’air du temps : à l’ère de la dématérialisation de la musique, l’air guitare semble être l’une des métaphores les plus judicieuses d’une industrie qui se bat contre de nouveaux fantômes.

Le devenir du disque, n’était-ce pas justement le « air disque », connu plus communément sous l’appellation MP3, le disque sans disque ?

Extrait de l’album « Love is in the Air Guitare » (Le Quellec / Ronzeau / Delcourt)

Quant au titre de l’album, le jeu de mots prend tout son sens à l’écoute du morceau dont il s’inspire : pas une guitare (en dehors de la basse) n’est présente sur la version originale de « Love is in the air », chantée par John Paul Young en 1978 et produite par Harry Vanda et George Young, également responsables des six premiers albums géniaux d’AC/DC.

L’avenir de l’Air guitare, ne serait-ce pas l’air guitare sans air guitare ? Avis aux amateurs, n’hésitez pas à ne pas enfiler votre air guitare fétiche pour nous livrer votre interprétation de cet air ! Une air guitare est à gagner, bien entendu !

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