“L’homme-guitare”, lors de la fête de la musique à Douala en 2006.
© Nicolas Eyidi
Éternel opposant au régime camerounais, le chanteur Lapiro de Mbanga est mort en exil aux États-Unis le 16 mars. Il avait 56 ans.
Il s’appelait Sandjo Lambo Pierre Roger mais avait choisi de s’identifier à la ville frondeuse de Mbanga, qui l’avait vu naître en novembre 1957. C’est à Buffalo (État de New York), loin de ce faubourg de Douala, que Lapiro de Mbanga s’est éteint le 16 mars dernier, à l’âge de 56 ans. Depuis 2012, le chanteur vivait aux États-Unis, où il s’était réfugié après avoir purgé une peine de trois ans d’emprisonnement pour son rôle supposé dans les émeutes de février 2008 contre le projet de modification de la Constitution par le chef de l’État afin de briguer un nouveau mandat. Son tort : “Constitution constipée”, un reggae-coupé-décalé au vitriol. Lapiro a été arrêté le 9 avril 2008, la Constitution modifiée le lendemain…
Tchatcheur invétéré à la voix rocailleuse, Lapiro défendait les laissés-pour compte sur fond de makossa et de rumba, le tout sublimé par une touche de rap revendicatif. Avec Persévérance (son premier album, en 1978), Surface de réparation, No make erreur (enregistré avec Jimmy Cliff), sa discographie est un flux de chansons vipérines où les nantis, Paul Biya en tête, en prennent pour leur grade.
C’est l’arrestation des journalistes Célestin Monga et Pius Njawé en 1991 qui le révèle comme leader de la contestation au Cameroun. Avec quelques proches, Lapiro crée un comité de libération qui, à coups de tracts, conduit à la plus forte mobilisation populaire du pays depuis les années 1960. Monga et Njawé libérés, l’opposition en profite pour lancer une grève générale, l’opération “villes mortes”. Lapiro s’insurge. Conspué, il passe pour un traître.
Il se vantait de n’avoir jamais eu peur des menaces. Pas même le jour de son départ du Cameroun, lorsqu’un officier de police avait tiré chez lui des coups de feu en l’air.
Sa réplique ? Une chanson, “Na wou go pay ?” (“qui va payer ?”), dans laquelle il avance que les violences et le vandalisme ne mènent à rien. Et “Big Mop for Nothing” (“grande gueule pour rien”), à l’adresse des opposants après le fiasco des “villes mortes”. Il lui faudra malgré tout quelques années pour redorer son blason.
Sa force, Lapiro, surnommé tour à tour Ndinga Man (“homme-guitare”) et Ngata Man (“prisonnier”), la tirait du pidgin, un mélange argotique de français, d’anglais et de langues locales méprisé par une certaine élite. Le sien résonnait comme un cri de ralliement qui échappait au pouvoir. Il exhalait l’humour, mais aussi la violence et les blessures de la vie. Et se vantait de n’avoir jamais eu peur des menaces. Pas même le jour de son départ du Cameroun, en 2012, lorsqu’un officier de police s’était présenté chez lui, tirant des coups de feu en l’air. L’artiste fanfaronnait parfois, mais ses propos étaient toujours empreints de vérité. Notamment quand il affirmait avoir
“découvert” John Fru Ndi, dont il avait rejoint le Social Democratic Front, se présentant sans succès à des scrutins locaux.
De son exil américain, Lapiro, amer, avait regretté la résignation du peuple camerounais. Il confiait avoir dû quitter son pays pour ses sept enfants : “Je n’ai pas le droit de sacrifier [les miens] pendant que les enfants de ceux qui pillent le Cameroun vont dans de bonnes écoles.” En mai 2013, il avait dénoncé devant la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme à Oslo, en Norvège, les conditions de détention dans les prisons camerounaises. Il devait récidiver dans les prochaines semaines devant le Congrès américain et avait le projet d’appeler à la mobilisation pour la libération de Paul Éric Kinguè, ex-maire de Penja, près de Mbanga, emprisonné à vie depuis les émeutes de 2008… pour de supposés détournements de fonds. La maladie ne lui en a pas laissé le temps. Dernier geste politique de l’artiste viscéralement attaché à son pays ? Demander à être incinéré aux États-Unis, où ses obsèques auront lieu le 26 mars.
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