Guitare et feu de camps

Certains traînent toute leur vie dans un sac à dos. D’autres ne possèdent rien de matériel. Lui, il portait pour seul effet personnel un vieil étui à guitare en toile trouée et sa vieille gratte aux cordes colorées. Il n’avait pas de diplômes, pas d’objectifs dans la vie, pas vraiment d’ambition non plus. Il ne se préoccupait que d’une seule chose, payer son loyer à la fin du mois lorsque venait l’hivers et essayer de manger chaud et consistant au moins une fois par jour lorsqu’il était en vadrouille, sa guitare à la main, trottant de places en places, d’une ville à l’autre, arpentant le monde à la recherche d’une oreille attentive et d’un sourire honnête.

Sa peau était légèrement sale, une fine pellicule de terre séchée brune s’était déposée sur son visage, accentuant son bronzage estival. Il n’avait pas coupé ses cheveux depuis des mois et les nouait en une sorte de longue natte aux mèches blondies par l’eau salée. Il n’était pas un surfeur Australien, il n’était pas très bon nageur, mais il aimait la sensation du sable sous ses pieds et le goût amer de l’eau de mer dans sa bouche. C’était pour lui, un plaisir simple de la vie, une motivation à économiser un peu plus pour partir toujours plus loin.

Ses yeux bleus délavés reflétaient les lueurs d’un feu de camp auprès duquel il avait trouvé refuge. Ses doigts rugueux frottaient encore et toujours ses six cordes et sa voix un peu rauque fredonnait des paroles improvisées, dans une langue que peu connaissaient. A la lumière des flammes, sa peau roussissait, laissant apparaitre ses petites taches sombres sur le pourtour de son nez et de ses lèvres. Des étoiles sur les joues, des constellations au-dessus de sa tête et l’océan calme à l’horizon, c’était tout ce qui lui fallait. Il était heureux, tout simplement.

Elle s’assit à côté de lui, son short en jeans légèrement de travers. Son corps était frêle mais sa tête affichait une certaine solidité, comme si elle avait connu des guerres et de terribles atrocités. Elle ne dit rien, se contentant de l’écouter en jouant avec une brindille de bois sec. Il ne la regarda pas. Peut-être qu’il ne l’avait pas remarqué alors qu’il était plongé dans sa ballade. Mais sa voix se fit légèrement plus claire et il ralentit le tempo, comme pour se faire plus agréable. Elle sentit ses muscles se contracter et un léger frison lui parcouru le bas du dos. Sa tête chavira en arrière et elle sembla perdre l’équilibre. Son corps à moitié courbé vers le ciel, tourné vers l’immensité céleste, elle s’abandonnait à la musique, ses mains plongeant dans le sable tiède.

Lorsqu’il eut finit, ils échangèrent un regard timide, puis un sourire. Il ne savait pas trop quoi faire. Il n’avait jamais su d’ailleurs. Pour lui, les vallées et les creux féminins étaient des mystères qui le fascinaient autant qu’ils l’effrayaient. Mais il était content de la savoir à ses côtés. Il se sentait moins seul, bien qu’il aimait sa solitude. Elle était là, partageant avec lui cet instant privilégié et c’était tout ce qu’il appréciait.

La nuit offrait un spectacle incroyable. La lune se dédoublant dans les vagues au loin, le bleu-noir de la voute astrale, perlées d’étincelles blanches. Et cette jeune femme, silencieuse et belle, qui ne demandait qu’à l’écouter. Tout était parfait. Tellement parfait qu’il s’en ressentit triste tout d’un coup. Sa gorge se noua et ses yeux devinrent humides. Mais il ne pleura pas. Cette douleur était agréable. Elle était nécessaire. Tout artiste connaissait sa peine. La sienne se trouvait là, au creux de ses deux mains, comme une petite tâche d’encre ayant cristallisé sous sa peau rugueuse et blanchâtre.

Il se leva et la gratifia d’un dernier sourire, avant de plier ses affaires et de rehausser sa guitare sur ses épaules. Il ne se retourna pas, continuant son chemin comme il était arrivé quelques heures plus tôt. Elle ne le retint pas. Elle l’observa disparaitre dans la nuit noire, aussi silencieux d’une brise sauvage. Les empreintes de ses pas dans le sable devenant de plus en plus floues. L’odeur de sa peau s’évaporant dans la fumée du feu qui consumait ses dernières cendres.

Il reprit la route le lendemain matin, après avoir dormir sur un banc publique aux abords d’une ville côtière. Ses cheveux étaient toujours aussi longs et sa peau un peu plus brune. Dans ses poches, il n’y avait toujours pas d’argent, mais dans son cœur, le feu brulait encore et le visage de la jeune fille brillait toujours parmi les étoiles et la lune argentée.

 

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