«L’instrument Cuatro, un poème, un patrimoine de Porto Rico»

-Vous avec une affection pour l’instrument le «Cuatro», la guitare portoricaine. Vous l’appelez : «mon bien-aimé… Cuatro»…

Pour commencer, le Cuatro est l’instrument national de mon pays de naissance, Porto Rico, et il incarne tout ce qui est natif et caractéristique à l’île. Le doux son du Cuatro est aussi identifiable comme le bandonéon dans le tango, le Cuica dans la samba, et la guitare électrique dans le rock. Quand vous l’écoutez, il vous transporte immédiatement à Porto Rico. Pour vous donner une idée sonore, le Cuatro sonne un peu comme une mandoline ou une guitare à douze cordes, et il est accordé comme une guitare basse à cinq cordes, mais avec deux octaves plus haut. S’il y avait un projecteur diffusant toutes les images qui me viennent à l’esprit quand je l’écoute, il ne rendrait toujours pas justice à tout ce qu’il évoque sensoriellement et émotionnellement. C’est la raison pour laquelle je l’appelle mon bien-aimé.

-Une telle passion énorme pour réaliser un documentaire …

Je suis très passionnée par la narration visuelle. Dans ma carrière en tant que réalisatrice, je veux raconter beaucoup d’histoires. Mais il y a quelques années, entre deux films, je cherchais des sources d’inspiration. Une quête continue et un désir au
questionnement : «Où se trouve  la musique populaire de Porto Rico à Los Angeles ?». Et surtout, où je pourrais trouver «Chuito el de Bayamón» (le chanteur folk, par excellence, des montagnes de Porto Rico) ?» Il est dit à Hollywood, faites un film sur ce que vous savez. Aussi, il était rapidement évident pour moi de devoir faire un film pour répondre à ces questions.  

-Votre docummentaire est intitulé The Cuatro within : Can You Hear The Love ? (Dans le Cuatro: peux-tu écouter l’amour ?). Poétique…

Eh bien, il m’est apparu évident de déclamer un poème d’amour visuel à mon peuple et mon pays. Au départ, le titre du projet était Tierra Adentro signifiant deux choses : la fameuse «terre dans ton cœur» ou dans le sens géographique «de l’intérieur». Parce que les racines de la musique folklorique de Porto Rico proviennent des montagnes. Cela a évolué vers  «Le Cuatro Within», ou en espagnol «El Cuatro Adentro». «Ecoutes-tu l’amour ?» est une autre question brûlante que je me posais. Parce que je suis convaincue que vous pouvez le voir, le toucher, le goûter, sentir l’amour. Mais pouvez-vous l’écouter ? Je crois qu’on le peut, indépendamment de la langue. Au moins, je peux l’écouter dans la musique folklorique. Je l’ai écouté tout au long de ma vie. J’espère que quand les gens verront le film, ils pourront l’écouter aussi.

-Au début du film, on peut lire : «Avant la salsa et reggaeton,  il y avait de la musique du Cuatro»…

C’est une déclaration que je voulais faire depuis le début. Rendre le spectateur conscient de la longévité de la musique Cuatro. Selon certains experts dans le domaine, le Cuatro et sa musique possèdent une évolution historique de plus de 300 ans. Et le poème et le texte (lyrique) accompagnant la musique du Cuatro, appelés «Décimas», proviennent d’Espagne, de l’époque coloniale. Comme vous pouvez l’imaginer, une forme d’art ancien ayant influencé tous les genres musicaux, spécialement à Porto Rico. Présent en tant qu’immense vivier riche de styles musicaux, l’instrument Cuatro soulève beaucoup de questions : «il est appelée Cuatro (au de sens quatre en espagnol) alors qu’il a  dix cordes ?…». Je réponds à cela dans mon site web : www.2ndTeamFilms.com, où vous pouvez également trouver des photos, de la musique et de l’information sur l’endroit où apprendre à jouer du Cuatro.

-C’est un retour aux sources…

Vous connaissez l’aphorisme : «On ne peut pas aller de l’avant sans connaître son passé». Je crois vraiment que dans le climat socio-politique et économique difficile d’aujourd’hui, les gens ont un besoin urgent de se  réapproprier leur passé, présent et futur de la manière la plus élémentaire. C’est un peu ça qui se passe à Porto Rico. Selon mon conseiller de musique folklorique, Jaime «Jimmy» Meléndez Colón, il y a eu une résurgence de la musique populaire ces dernières années. Surtout dans l’initiation scolaire. En fait, l’un des plus «mouvants» et émouvants moments que j’ai eu pendant le tournage de ce film aura été celui dans la ville d’Orocovis, où j’ai été témoin d’un cours dispensé par Luis Daniel Colón et Billy Colón Zayas à des enfants de huit ans chantant et devenant des troubadours.

-Un signe d’identité ?

Si vous me demandez si l’instrument Cuatro et donc sa musique est un symbole, je dirais : «Oui, c’est un symbole de tout ce qui est considéré comme profondément portoricain enraciné ! Si vous me demandez si l’identité joue un rôle pour moi en tant qu’individu racontant l’histoire, la réponse est : «Absolument, avec ce projet, je récupère mon identité portoricaine et dans ce processus, donne une voix à ce que je pense être une forme d’art magnifique digne de souligner». J’espère que ce film va inspirer d’autres personnes à créer des projets similaires et voir que la musique folklorique de Porto Rico s’est hissée à une place sur la scène musicale internationale comme un ambassadeur culturel exemplaire, non seulement pour sa sonorité unique, mais aussi pour sa riche histoire, la sophistication et bien sûr sa beauté.

-Est-ce une question d’héritage,  de la préservation du patrimoine et même de mémoire ?

Oui, oui et oui ! J’ai interviewé et parlé à quelques artistes les plus respectés, qui ont toujours véhiculé pour moi la musique folklorique en tant que genre, manquant de documentation, qu’elle soit écrite ou visuelle, malgré sa riche histoire. Voici quelques faits historiques qui surprendraient certaines personnes, même à Porto Rico… La «décima» est une forme poétique créée par l’écrivain et chanteur Vicente espinela au XVIe siècle. Et le  «seis», la mélodie qui accompagne le «décimas», selon maître Cuatro Zayas Edwin Colón. Il y a environ 150 seis styles. Par analogie, c’est comme qui dirait  il y a plus de 150 styles de jeu des blues. Tout cela vaut bien la préservation, ne pensez-vous pas ?

-Vous avez travaillé avec des maîtres comme Edwin Colón Zayas, Oscar Hernandez, Alvin Medina, Yezenia Cruz, Yomo Toro et bien d’autres…

Un vrai honneur et une bénédiction ! Quand j’ai écouté Edwin Colón Zayas  en live au Festival del Cuatro de Los Angeles, j’ai pensé : «Maintenant, j’ai un film». Il n’est pas seulement un maître du Cuatro, mais il prouve ausi sa polyvalence en composant et interprétant des styles musicaux issus du monde entier. Alvin Medina, je l’appelle le Hendrix du Cuatro et après, ce fut Yomo Toro. Il a été le premier à introduire le Cuatro sur la scène salsa internationale pour Fania Records. Yezenia Cruz, une chanteuse  très puissante. C’était une joie que d’être sollicitée pour réaliser un clip vidéo au titre Lo Callaras, un boléro figurant sur un album où elle pousse les limites de la musique populaire de Porto Rico. En Oscar Hernandez, j’ai trouvé ce compositeur ayant reçu trois Grammy Awards (Oscar de la musique aux USA) comme compositeur, producteur et musicien et avec qui je peux m’exercer à un processus créatif d’une manière totalement constructive.

-On dirait une version  portoricaine de «Buena vista social club»…

C’est intéressant que vous le soulignez. J’ai présenté le teaser pour le film au directeur de studio qui a suggéré la même chose. Et auquel j’ai répondu : «je fais ce film de sorte que dans 30 ans personne ne doit voir la nécessité de faire le Buena vista social club de Porto Rico, parce les gens oublient à propos de la musique folklorique». J’aime la comparaison, je vais vous dire pourquoi… L’année où le film est sorti,  j’ai été au Virgin Megastore du Louvre à Paris, et j’ai vu tout un mur entier dédié à la musique latine et présentant un album. C’était Buena vista social club ainsi que la musique cubaine des années 1950 à nos jours. Aussi, je reviens souvent à ce mur me rappeler qu’un film peut faire cela. Bien que si j’ai eu un film documentaire pour établir une comparaison, je dirais que mon film a un peu de «Buena vista social» (pour son portrait d’un genre musical), une partie de  «It might get loud» (pour son portrait honnête de maîtres d’un instrument et leur interaction), et une partie de «An inconvenient truth» (pour les éléments didactiques et historiques).

-Vous êtes productrice et infographe 3D à Hollywood, vous avez travaillé sur Harry Potter. Et maintenant votre «Cuatro bien-aimé». Une combinaison entre la science et l’art ?

Einstein a dit : «La créativité, c’est l’intelligence qui s’amuse». J’ai eu beaucoup de plaisir dans ma vie. Pour moi, la science et l’art sont inextricablement liés, même quand j’étais une scientifique à plein temps, je racontais des histoires visuelles à travers la science. J’ai commencé ma carrière en infographie 3D en tant que programmatrice et productrice de visualisations scientifiques et simulations, lorsque la réalité virtuelle était à la mode. Le travail sur Harry Potter, concevoir des effets visuels en CGI 3D pour un film a été un terrain d’entraînement. Avec The Cuatro Within…, je réalise plusieurs rêves, y compris l’incorporation de plus d’une douzaine de plans d’effets visuels, un nombre relativement restreint pour les normes de Hollywood, mais celles-ci augmenteront et serviront la narration et rien de plus.

-De surcroît, on découvre que vous êtes une actrice «hilarante» et très drôle dans Helena Hosts. C’en est fini avec la comédie ?

Merci, j’aime beaucoup les comédies. Aussi, c’est le plus grand compliment que je puisse jamais recevoir. Parce que j’ai écrit le scénario et produit  Helena Hosts. Je n’ai pas encore fini en tant qu’actrice. La deuxième partie de Helena Hosts est en chantier. Alors, vous pourrez me voir interpréter Helena  au moins une fois de plus, ainsi que plusieurs projets qui sont en développement. Pour cela, je suis en négociations pour m’associer, une fois de plus, avec mon cher ami Robert Beltran, (Eating Raoul, Latino et qui a aussi interprété le rôle de Captain Chakotay dans Star Trek Voyager), qui a eu l’amabilité de réaliser le pilote de Helena Hosts. Jouer en tant qu’actrice me rend meilleure réalisatrice. Il semble que j’ai attrapé le virus du cinéma depuis la première comédie où j’ai joué et dont l’avant-première a été étrennée au prestigieux Edward James Olmo Festival du Film Latino international de Los Angeles.

 

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