« Il faut du temps pour casser les codes », observe Rico Priet. Le luthier, qui a récemment installé son atelier (Imago guitare) à Jayat, dans le nord de l’Ain, en sait quelque chose. Spécialisé dans la fabrication de guitares, ce jeune quadragénaire a patiemment bâti un style unique. Immédiatement reconnaissable, mais difficile à faire accepter dans un milieu où l’innovation de rupture est rare. « Il y a de très bons luthiers, mais ils restent généralement sur les codes traditionnels », note Rico Priet.
Paris design week
Le luthier travaille depuis 2010 avec un jeune designer stéphanois, Jean-Sébastien Poncet. Tous deux ont mis au point une guitare baptisée Ô, dont un premier prototype a été exposé en 2011 à la Paris design week. Depuis, le modèle a été affiné.
« Un instrument de musique est presque aussi difficile à redessiner qu’un outil, car il répond à un usage stéréotypé, analyse Jean-Sébastien Poncet. Le schéma de production d’un instrument est le fruit d’une pratique très codifiée. Cela ne laisse que peu de marges de manœuvre. Avec Ô, on est arrivé à des formes géométriques assez pures qui s’éloignent du vocabulaire courant en matière d’instruments. »
Bois tourné
La forme très arrondie et épurée des guitares de Rico Priet naît de leur mode de fabrication. Au lieu de cintrer le bois afin de lui donner la forme de la guitare, le luthier travaille à partir de blocs qu’il tourne et creuse. L’idée lui est venue lors d’un stage de formation. « J’ai rencontré une tourneuse sur bois installée dans la Drôme, se souvient-il. J’ai tout de suite imaginé que l’on pouvait fusionner nos compétences. »
Cette technique unique en France donne des guitares à la sonorité atypique particulièrement adaptées au répertoire jazz, blues ou ragtime. « Le tournage permet de diminuer le nombre de pièces utilisées tout en créant un système sonore performant », souligne Jean-Sébastien Poncet. Le modèle Ô assemble ainsi cinq à six pièces, soit dix fois moins qu’une guitare classique de luthier. L’autre atout du tournage est qu’il permet d’envisager une fabrication sur machine à commande numérique. Et donc de proposer des instruments de luthier au prix d’un instrument d’usine haut de gamme. Pour le moment, le modèle Ô est accessible à partir de 2 400 euros.
Financement participatif
Afin de lancer la fabrication d’une présérie, le luthier et le designer ont lancé un appel sur le site de financement participatif Kisskissbankbank. En deux mois, le projet a recueilli près de 4 000 euros. « Il nous faut au moins 6 000 euros si l’on veut, en plus de la présérie, démarcher les distributeurs », précise Rico Priet.
Salarié au sein de la coopérative d’activités Ain geste d’avenir, Rico Priet assume le fait d’exercer un métier difficile. Sur son marché de niche et face « au marketing des grandes marques », il aimerait pouvoir vendre 20 à 40 guitares par an en maintenant un positionnement « haut de gamme abordable ». Objectif : gagner l’équivalent d’un Smic d’ici trois ans.
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