1200. C’est le nombre de veinards qui, dans le monde, ont pu se procurer la Gibson Slash « Rosso Corsa » Les Paul Standard (42 seulement en France).
Étant quasiment introuvable aujourd’hui, à moins de payer un très (trop) bon prix sur Ebay, bien des disciples du guitar hero au haut-de-forme se sont trouvés fort déçus de passer à côté au moment de sa sortie en 2013. Pour les consoler, Gibson relance une autre édition limitée, dans le temps cette fois-ci, par l’intermédiaire de sa marque Epiphone en version moyen de gamme. Je me trouve face à un vrai dilemme : comment tester objectivement un instrument lorsqu’on idolâtre celui qui a participé à sa conception ? Voici donc pour vous deux tests, celui du guitariste lambda et celui du fan absolu.
So Fine
Guitariste lambda : Le nom donné à la finition de notre Les Paul, « Rosso Corsa » (aussi appelé « Racing Red » en anglais), veut dire « rouge course », genre Ferrari quoi. Il faut reconnaître que le flight case dans lequel la guitare est livrée est prometteur : orné du logo Slash avec intérieur « fausse fourrure » noir, on y trouvera différents accessoires (direction assistée, GPS, Airbag et… cool ! des straplocks !) ainsi qu’un certificat d’authenticité dans une pochette cartonnée, noire toujours, du plus bel effet. J’y repère vite une petite erreur amusante : le papier certifie deux fois avec assurance que nous possédons une Slash « RossA Corsa » Les Paul Standard. Vérification faite sur les sites Gibson et Epiphone, c’est bien « Rosso Corsa ». Ferrari qu’on disait ? Avec ce genre de coquille, Opel « Rossa » Corsa plutôt non ?
Eh bien non, il faut avouer qu’une fois son étui ouvert, la vue de notre Les Paul nous laisse pantois. Sa table est superbe, tellement qu’un doute m’assaille. Je retourne sur le site d’Epiphone et je lis, en ce qui la concerne, « maple cap with AAA Flame Maple Veneer ». Très honnêtement, à part « quelqu’un de vraiment pas content », je ne savais pas ce que voulait dire « Veneer ». Eh bien, sachez que cela signifie « placage ». Une petite recherche sur Wikipédia nous indique que « en menuiserie et ébénisterie, le placage est l’application de feuilles de bois collées en revêtement sur un assemblage de menuiserie. (…) À l’origine, cette technique était surtout utilisée pour permettre un rendu de bois précieux tout en diminuant les coûts. » Tout s’explique ! Nous avons bien affaire à de l’érable flammé AAA (« comme l’andouillette » me dit Los Teignos. Pour les plaintes concernant cette vanne, voir avec lui), mais plaqué sur un érable de moins bonne qualité. S’ils ne l’avaient pas indiqué, il aurait été difficile de s’en apercevoir, celui-ci étant caché par l’énorme binding « ivoire », pas vraiment beau, qui l’entoure.
En retournant l’instrument, nous pourrons constater que l’acajou du corps et du manche collé est en revanche assez joli. Dommage que le palissandre de la touche, que j’ai failli prendre pour de l’ébène, ne le soit pas autant. Il est vraiment foncé, peut-être a-t-il été spécialement assombri ? Toujours sur le manche, les frettes sont assez hautes. Rien de trop gênant, mais on voit bien que le travail n’est pas aussi complet et chiadé que sur une Les Paul produite chez la maison mère (normal finalement). Au passage, il est bon de noter que la guitare est fabriquée en Asie (Epiphone n’a pas pu nous préciser dans quel pays exactement), ceci n’expliquant pas nécessairement cela.
Au bout du manche, nous retrouverons le sillet (1,68’’ – 42,67 mm de largeur) en plastique moche. Sur la tête se trouve tout un tas de décalcomanies : devant, le logo de l’ex-guitariste de Guns N’ Roses, et derrière un logo « Epiphone 2014 » ainsi que le numéro de série posé… de traviole. Dommage, d’autant qu’à part ça, le travail est dans l’ensemble assez soigné, les collages des différents éléments sont propres et bien réalisés.
Concernant l’accastillage, on trouvera des potards dorés à l’apparence cheap et nous remarquerons surtout que le plastique couleur « danette au caramel salé » du sélecteur de position jure méchamment avec le reste, pouah !
De par les choix esthétiques de Mister Hudson, l’absence des cache-micros métalliques qu’on retrouve habituellement sur Les Paul nous dévoilera des micros zébra avec les couleurs crème/noir dans le même sens, le micro chevalet étant inversé (vous trouverez une explication claire, en anglais, sur les zébras ici). Voilà un petit détail sympathique qui rajoute du cachet à notre instrument.
Enfin pour l’électronique, contrairement aux Gibson récentes qui utilisent un PCB, le câblage fait très vintage (jusque dans les soudures…), et personnellement, je préfère ça. À l’intérieur des cavités, on peut observer la peinture métallique qui protège des interférences parasites propres aux grandes villes. Encore une petite attention qu’on appréciera.
Malgré de minimes imperfections, cette gratte a quand même des allures de bête de course alors place au test drive !
Hardcore fan : Visuellement, cette guitare défonce. Slash a en général un goût très sûr pour la finition de ses instruments. Le sélecteur de position de couleur caramel rajoute une petite touche « destroy » comme si c’était une pièce rapportée parce qu’on a perdu le plastique crème original. C’est le côté punk, « no future », du maître chevelu. Le switch attire le regard, une sorte de nez de clown sur la Joconde, et comme les guitaristes aiment être vus, c’est une très bonne idée.
En ce qui concerne les potards dorés, ce sont les mêmes que sur la Gibson originale alors comme Slash les a choisis, ils sont très bien comme ça. La touche en palissandre qu’on croit que c’est de l’ébène, c’est certes moins fonctionnel, mais ça fait plus classe. De toute façon, même si Slash proposait du fil de fer barbelé accroché à une planche trempée dans du beaujolais, ça serait la meilleure guitare du monde parce que c’est celle de Slash.
Demis Rossos
Guitariste lambda : Posée sur la cuisse, notre Epiphone a tendance à partir à la renverse côté corps, ce qui est plus ou moins normal avec les guitares de forme Les Paul, mais un peu plus prononcé ici. Sans doute est-ce dû au palissandre de la touche qui a l’air léger et poreux ? Le corps, pourtant, est « weight relieved », c’est-à-dire qu’on y a fait 9 trous, comme dans du gruyère, pour le rendre moins lourd et nous éviter de futures douleurs dorsales. Notre instrument est malgré tout légèrement déséquilibré.
Le manche, dont le profil a été défini par l’inspirateur de notre six-corde, est un « slim-taper » en D, avec un radius de touche de 12’’. Il est assez confortable et facile à jouer, la masse est bien répartie et le rapport radius/profil équilibré. Il devrait contenter à peu près tout le monde, mais surtout ceux qui appuient bien sur le pouce pour leurs barrés. Dommage qu’Epiphone ait choisi un vernis en polyuréthane assez conséquent, très brillant et qui accroche un tout petit peu la main. Un vernis nitrocellulosique, plus naturel, aurait sans doute été un meilleur choix (mais peut-être aussi plus long à poser. Et comme le temps c’est de l’argent…). Livrée en ce qui me semble être du 10-46, l’action me parait assez haute, sans doute pour s’adapter aux grosses frettes (medium jumbo en passant), pas aussi jolies et agréables que celles des vraies Gibson, mais pas catastrophiques non plus. Il est vrai qu’on les sent légèrement lors des démanchés, mais tant que ça ne bloque pas la main, tout va bien !
Je tiens à signaler ici que c’est mon 4e test de guitare et c’est le premier instrument qu’on me fait parvenir pas trop mal réglé (si on ne chipote pas sur la hauteur des cordes donc). L’intonation est juste et elle ne frise presque pas (très très légèrement sur les cordes de mi). L’action conjuguée des mécaniques « Premium Deluxe Vintage » (de forme « tulipe », avec un ratio de 14:1, ils ne mentent pas, vraiment vintage), du Locktone Tune-o-Matic, ainsi que du reste de l’instrument (le sillet moche, mais bien taillé par exemple) nous assurent une très bonne tenue d’accord. En plusieurs heures de test, il n’y a presque rien eu à corriger, quelques 1/8e de tons par-ci par-là. Chapeau !
Et puisqu’on parle de chevalet et de sillet, je tiens enfin à signaler que le diapason est de 24,75’’, soit le diapason traditionnellement utilisé sur les Les Paul.
Il est maintenant temps de faire ronronner son moteur et vérifier ce qu’elle a dans le ventre.
Hardcore fan : Pas bien grave qu’elle soit un peu déséquilibrée, de toute façon, les solos de November Rain ne se jouent pas assis, mais debout hors de l’église ou sur un piano. Le manche est super agréable, on peut jouer le solo de fin de Paradise City pendant 2h comme il fait en live sans se faire mal à la main. Et puis c’est vrai qu’elle tient super bien l’accord, peut être mieux que beaucoup de vraies Gibson avec leurs maudites cordes de sol. Nan, mais rien qu’avec le logo Slash dessus ça devrait être clair qu’elle est exceptionnelle.
Rocket Queen
Guitariste lambda : À vide, notre instrument résonne pas mal du tout. On sent bien les vibrations parcourir le corps de l’instrument et assez longtemps, le sustain parait intéressant. Voyons maintenant si cela se confirme lorsque l’on passe par les Seymour Duncan Slash Alnico II Pro qui équipent notre gratte. Les Alnico II, un des chaînons essentiels du son de Slash qui ne jure que par eux, sont des micros de type vintage, avec un son très 50’s, aux fréquences équilibrées et assez douces, oui oui vous avez bien lu, doux. Leur niveau de sortie n’est pas énorme et ils devraient respecter pas mal la dynamique du jeu.
Voici la config utilisée lors des enregistrements : Epiphone Slash « Rosso Corsa » Les Paul Standard Marshall JVM410H (forcément !) Simulateur de HP Two Notes Torpedo Live (avec le cab Marshall de Slash modélisé, forcément ! x2) RME Fireface 802.
Comme d’habitude, on commencera avec des exemples audio en son clair. Les trois premiers présentent chaque position de micro dans l’ordre manche/milieu/chevalet. Je laisse à chaque fois sonner le dernier accord pour entendre le sustain, sachant que le premier est un barré, le second un power chord, et le troisième un accord ouvert, sur des arpèges bien connus des fans. Et comme tout le monde ne voue pas forcément un culte à Slash (ah bon ?), j’enchaîne avec un 4e exemple en impro, sur les trois positions toujours dans le même ordre, avec un jeu plus nuancé, sur tout le manche pour vous laisser apprécier la justesse de l’instrument. Je finis avec un mi grave dont je baisse le volume au potard pour vérifier l’action de celui-ci.
Je trouve que notre Epiphone s’en sort plutôt bien. Vous aurez remarqué la légère frisouille de la corde de mi grave sur le deuxième exemple. Quand on réécoute la version originale de Don’t Cry (pour mémoire) on se dit que finalement ce n’est vraiment pas grand-chose. La position manche est plutôt agréable et la position chevalet ferait presque cruncher notre son clair. J’attendais un peu plus de sustain mais c’est quand même correct. L’action du potentiomètre de volume sur le 4e exemple est progressive comme il faut. Il y a une petite compression naturelle pas désagréable (que j’ai au début attribuée à un ébène qui n’existe pas). C’est une guitare assez funky finalement et qui se débrouille pas mal en jazz aussi, surprenant hein ?
Pour la suite, un exemple en son crunch à la slide puis deux riffs high gain sur le micro chevalet. Comme je sais que Los Teignos adooooooore les ballades de Guns N’ Roses (hm…) et pour le punir de sa vanne sur les andouillettes, un petit solo bien connu en position manche et enfin une impro solo « dans le style de » en position chevalet.
Le crunch est assez fin et pour m’être amusé dessus en blues, je trouve que l’Epiphone réagit bien. Le High Gain et l’Alnico II se complètent également très bien. J’étais même surpris de retrouver, toute proportion gardée, le son Slash. Pour la fin de l’exemple 8, encore une fois, j’attendais un tout petit peu plus de sustain mais globalement, le moteur de notre voiture de course est bien huilé et s’en sort haut la main. Elle est prête pour la compet’ des concerts, sans hésitation.
Hardcore fan : On n’est pas un vrai fan de Slash si on n’a pas l’ampli qui va avec, alors moi j’ai préféré sortir le Marshall AFD100, sa tête signature, en mode #34 (tout le reste de la chaîne étant identique, surtout la modélisation du cab Slash signature !). L’ampli est monocanal donc pas d’exemple en son clair. Pas d’exemple en son crunch non plus, on sait qu’Izzy Stradlin reprochait avec amusement à Slash de toujours jouer trop fort et trop saturé. Voici donc 3 riffs en position chevalet (le troisième avec un peu moins de gain), un riff dans le haut du manche, position manche, et un solo position chevalet. Pour finir en beauté, et en spéciale dédicace à Los Teignos tellement je sais qu’il est fan de November Rain (hehehe), une nouvelle fois le solo du milieu du morceau en position manche (exemples audio 10 à 15).
Parfois on est vraiment proche du son de notre idole, notamment sur l’exemple 2. J’adore, je pourrais jouer des heures avec cette combinaison guitare/ampli. Bizarrement, je trouve que pour les solos en position manche, le JVM410H fait mieux l’affaire (il a plus de gain). Bien sûr, pour s’approcher définitivement des sonorités de notre guitariste préféré, il aurait fallu jouer les vibratos plus nerveux, avoir ses doigts, sa classe, des cheveux et un chapeau haut de forme, mais ça c’est une autre histoire…
Welcome to the Jungle (Bells)
Guitariste lambda : Alors combien coûte une aussi jolie petite guitare, surtout après avoir énuméré autant de qualités ? Pas si chère que ça finalement, 799 €, un peu moins en magasin. Quand on sait que le flight, les accessoires et les Seymour Duncan valent à eux seuls presque la moitié du prix, il nous parait donc plus que correct. D’autant qu’en général, et c’est ce qui m’inquiétait avant de l’avoir testée, il suffit d’une signature de guitar hero ou son logo pour qu’une gratte prenne le tiers de sa valeur, ce qui est souvent loin d’être justifié. Les débutants qui veulent une première vraie guitare qui en jette seront ravis et les autres, pas forcément rockeux, devraient quand même lui laisser sa chance au regard de ses performances. Les fans de Slash, en tout cas, seront ravis.
Hardcore fan : Je suis ravi. Slash je t’aime !
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