Django Reinhardt – Pionnier du style Manouche

Django Reinhardt

Jean-Baptiste Django Reinhardt, plus connu sous le nom de Django Reinhardt, est un guitariste manouche de jazz, né le23 janvier 1910 à Liberchies en Belgique et mort le 16 mai 1953 à Samois-sur-Seine en France. Son style de jeu et de composition a ensuite été suivi d’adeptes, donnant naissance à un style de jazz à part entière : le jazz manouche.

Issu d’une famille sintinote 1 et communément appelée en France manouche, il est encore aujourd’hui l’un des guitaristes les plus respectés et influents de l’histoire du jazz.

Gravement blessé dans l’incendie de sa roulotte, il garde toute sa vie les séquelles de ses brûlures à la main qui l’obligent à trouver une nouvelle technique et à jouer dans un style si particulier que ses adeptes des générations suivantes poussent l’idolâtrie jusqu’à s’entraver doigts pour reproduire son infirmité et sa technique1

Trois de ses descendants sont devenus guitaristes : Lousson Reinhardt, son fils aîné issu d’un premier mariage, Babik Reinhardt, son second fils décédé en 2001, et David Reinhardt, son petit-fils et fils de Babik.


Jean Reinhardt naît dans une roulotte stationnant à Liberchies, en Belgique, où il est déclaré « fils de Jean-Baptiste Reinhardt et de Laurence Reinhardt »2 originaire d’Alsace. Son père Jean-Eugène Weiss travestit son nom pour échapper à la conscription3. L’enfant fait partie d’une famille de Sinti nomades habitués à traverser l’Europe de part en part. Il est principalement élevé par sa mère Laurence dite « Négros » et passe donc sa jeunesse à voyager en France, en Italie ou en Algérie pour fuir la Première Guerre mondiale avant que sa famille ne se fixe finalement à Paris, d’abord sur les Fortif’, Zone mal famée jouxtant la Porte de Choisy, puis à la Porte d’Italie. Personne ne sait d’où lui vient son prénom Django qui signifie “je réveille”4.

La rencontre avec le banjo de son oncle à l’âge de dix ans est décisive. Fasciné par l’instrument, le jeune Django n’a dès lors de cesse de s’écorcher les doigts sur ses cordes oxydées. Il fait son apprentissage en observant avec attention les musiciens de passage au campement, et acquiert bientôt une dextérité hors du commun. Il se mettra, avec le même bonheur, au violon et finalement à la guitare5. Il débute dans l’orchestre familial que son père musicien (jouant du piano et du cymbalum) dirige6.

Vers l’âge de douze treize ans, il joue de la guitare et du banjo dans les bars et bals de Paris, ainsi que dans les demeures des gens aisés, tout en continuant de jouer surtout pour son propre plaisir. Il est repéré par l’accordéoniste de bal Vetese Guerino qui le convainc de l’accompagner7. La réputation du jeune virtuose se répand chez les amateurs de musique et en 1928, l’accordéoniste Jean Vaissade permet à Django d’enregistrer son premier disque8. L’adolescent ne sachant ni lire ni écrire, même pas son propre nom, les étiquettes portent la mention « Jiango Renard, banjoïste »8.

 

La même année, le chef d’orchestre Jack Hylton, impressionné par la virtuosité de Django, lui propose de l’engager dans sa formation de musique populaire, qui doit se produire à Londres. Mais le destin contrecarre ce projet : juste avant le départ du groupe, le 26 octobre 1928, à Saint-Ouen, banlieue nord de Paris (près de la rue des Rosiers), un incendie se déclare dans la roulotte où le musicien vit en compagnie de sa première femme, Bella Baumgartner. Les fleurs en celluloïd — matière très inflammable — que celle-ci vend s’enflamment au contact d’une bougie renversée, détruisant la caravane et blessant assez gravement ses deux occupants9.

Django est sérieusement atteint à la jambe droite et à la main gauche. Celle-ci cicatrisant très difficilement, il reste près de 18 mois à l’hôpital, où les médecins pronostiquent des séquelles qui l’empêcheraient de rejouer de la guitare. On doit finalement cicatriser la blessure au nitrate d’argent. Django a perdu l’usage de deux doigts10, mais il s’obstine néanmoins, et, après 6 mois de travail sans relâche, il développe une technique nouvelle sur la guitare que son frère Joseph, alias « Nin-Nin », lui a apportée en guise d’outil de rééducation.

Au printemps 1930, alors que Django est toujours soigné à l’Hôpital Saint-Louis11, une commission de contrôle militaire vient juger sur place de son état de santé : le musicien, âgé de 20 ans et devant donc accomplir son service militaire, n’a répondu à aucune lettre de convocation depuis deux ans. Mais ses blessures lui permettent d’être rapidement exempté.

 

À sa sortie d’hôpital en 1930, Django Reinhardt a développé une toute nouvelle technique guitaristique, d’autant plus exceptionnelle qu’elle n’emploie que deux doigts de la main gauche, plus le pouce pour le jeu en rythmique. Il parvient néanmoins à plaquer quelques accords en contorsionnant son annulaire et son auriculaire ankylosés. Il découvre qu’entre-temps, la guitare a gagné sa place au sein des orchestres de Jazz, cette nouvelle musique venue des États-Unis. Les premiers contacts de Django avec la musique de Duke Ellington, Joe Venuti, Eddie Lang ou Louis Armstrong sont un grand choc, et le jeune guitariste décide de consacrer son existence à la pratique du Jazz. C’est Émile Savitry qui les lui fait découvrir en 1931 sur la Côte d’Azur, en lui faisant écouter les disques12. Django joue au Coq hardi de Toulon puis au Lido et au Palm Beach de Cannes avant de rentrer à Paris où il joue à La Boîte à Matelots, et fréquente les jazzmen Stéphane Mougin, André Ekyan, Alix Combelle à La Croix du Sud12.

En 1931, il joue dans l’orchestre du club la « Croix du Sud », dirigé par André Ekyan, au côté de Alix Combelle et Stéphane Grappelli. À cette époque, il lui arrive également de jouer avec l’accordéoniste d’origine italienne Vetese Guerino, l’un des as de l’âge d’or du musette et les frères Baro et Matelo Ferret13.

Avec Stéphane Grappelli, ils fondent en 1934, grâce à Louis Vola, le Quintette du Hot Club de France14. Le groupe comprend également le frère de Django, Joseph, alias « Nin-nin », ainsi que Roger Chaput à la guitare et Louis Vola à la contrebasse. Les cinq musiciens inventent une musique innovante qui remporte un grand succès. Les années suivantes, ils enregistrent de nombreux disques et jouent dans toute l’Europe aux côtés des plus grands musiciens de l’époque, tels que Coleman Hawkins, Benny Carter ou Rex Stewart. Ces derniers tentent à plusieurs reprises de prendre en défaut la technique instrumentale et les connaissances musicales de Django dans des défis musicaux, tels qu’il s’en pratiquait fréquemment à l’époque, mais le guitariste gagne leur respect en se révélant, malgré son incapacité à lire la musique et son apprentissage quasiment autodidacte, d’une maîtrise à toute épreuve. C’est ce talent qui a convaincu le chanteur Jean Sablon qui l’engage et l’impose dans les studios d’enregistrement dès 193315.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en 1939, le quintette est en tournée en Angleterre. Tandis que Stéphane Grappelli malade, reste bloqué à Londres. Django retourne en France, àToulon, où il est mobilisable dans la Flotte mais il est à nouveau réformé à cause de ses brûlures. Il passe la guerre en Zone Libre, jouant à Paris, voyageant et tentant même de gagner la Suisseaprès un passage à Thonon-les-Bains, sans succès16.

En 1940, il enregistre le titre Nuages avec le clarinettiste et saxophoniste de jazz Hubert Rostaing17. En décembre 1940, il enregistre notamment avec l’orchestre de Pierre Allier, dont fait partie, pour une session, le tromboniste André Cauzard18.

En 1943, il épouse, à Salbris, Sophie Ziegler16, sa seconde femme, dont il aura l’année suivante un fils, Babik Reinhardt, qui deviendra à son tour un grand guitariste. Mais à la fin de cette même année, ne se sentant plus trop en sécurité à Paris il décide de partir en Suisse. Arrêté à la frontière par des gardes allemands l’officier lui ordonne de rentrer à Paris. Django s’exécute et une fois revenu dans la capitale il ouvre un club Chez Django Reinhardt, et il forme un nouveau quintette avec Hubert Rostaing à la clarinette et Pierre Fouad aux percussions. Cette formation bénéficie de la vogue du swing et le morceau Nuage devient un tube12. À la Libération, il retrouve Grappelli avec lequel il improvise sur une Marseillaise qui restera célèbre19.

Il est ensuite l’un des premiers en France à comprendre le be-bop, cette révolution du jazz venue des USA portée par Charlie Parker et Dizzy Gillespie. Il intègre à ses compositions dès la fin de la guerre (R26, Mike, Babik…) de nombreuses trouvailles inspirées directement du be-bop, tout en restant toujours fidèle à ses propres conceptions musicales20.

 

Après la guerre, le Hot Club de France reprend enregistrements et tournées. En 1946, une tournée aux États-Unis donne enfin à Django l’occasion de jouer aux côtés de Duke Ellington. Les deux musiciens s’étaient rencontrés en 1939 lors d’une tournée de Duke en Europe et désiraient depuis lors jouer ensemble, mais cette association n’est pas celle dont Django avait rêvé21. Ne parlant pas anglais, habitué à la liberté de sa vie nomade, Django peine à s’habituer à la discipline très stricte des Big Bands. Ces difficultés, alliées au fait qu’Ellington n’avait pas réellement intégré le guitariste à ses arrangements, le faisant toujours intervenir en fin de représentation, faisait de Django une sorte d’attraction et non le concertiste qu’il espérait être durant cette tournée. La déception sera rude de n’être pas reconnu comme le plus grand, surtout lors du concert avec Duke au Café Society de New York, le premier cabaret qui pratiquait l’intégration raciale aux aux Etats-Unis12.

Cependant, son passage fait toujours sensation. Le groupe a tourné dans tous les États-Unis (même au Canada) et la présence de Django était exceptionnelle pour les amateurs : il était la seule vedette de jazz non américaine (avec Grappelli). En arrivant à New York, Django cherche à rencontrerCharlie Parker, Dizzy Gillespie, Thelonious Monk, sans résultat, ces derniers étant alors chacun en tournée.

Il gardera de cet épisode une certaine amertume, et il s’éloigne peu à peu de la guitare, se consacrant de plus en plus à ses autres passions, lapeinture, la pêche et le billard22. Cela ne l’empêche pas de recréer à plusieurs occasions sur disque le prestigieux Quintette avec Stéphane Grappelli. Les résultats sont fantastiques de maîtrise et de singularité.

 

En 1951, il achète une maison et s’installe à Samois-sur-Seine en Seine-et-Marne, près de Fontainebleau. À ce moment commence pour lui un véritable renouveau : son jeu est plus inspiré que jamais et il joue régulièrement avec un orchestre composé des meilleurs be-boppers français : Roger Guérin, Hubert et Raymond Fol, Pierre Michelot, Bernard Peiffer, Jean-Louis Viale. Il est toujours à l’avant-garde du jazz.

En 1953, Norman Granz fait part à Django de son désir de l’engager pour les tournées du Jazz at the Philharmonic. Le producteur français Eddie Barclay lui fait enregistrer huit titres, en guise de « carte de visite » pour les amateurs américains. Ces huit morceaux exceptionnels marqueront irrémédiablement les amateurs de jazz et surtout les guitaristes du monde entier, qui s’inspireront des décennies durant du jeu d’un Django très en avance sur son époque.

Django enregistre son dernier disque le 8 avril 1953, avec Martial Solal au piano (c’est un de ses premiers enregistrements)23, Pierre Michelot à la contrebasse, Fats Sadi Lallemant au vibraphone et Pierre Lemarchand à la batterie.

Il meurt un mois plus tard d’une hémorragie cérébrale24. Django Reinhardt repose depuis à Samois-sur-Seine.

 

Considéré avec Charlie Christian, Joe Pass et Wes Montgomery comme l’un des meilleurs guitaristes de jazz, Django Reinhardt est aujourd’hui encore une référence majeure pour des guitaristes comme Andrès Segovia, Mark Knopfler ou de Jimi Hendrix, qui a appelé son groupe Band of Gypsys en hommage à Reinhardt31 dans des styles bien différents. Son style profondément original, entre Jazz et musique Tzigane, s’est depuis lors développé en un genre musical à part entière, le Jazz manouche. Ce style est devenu un véritable folklore pour la communauté Manouche depuis la mort de Django et est aujourd’hui joué partout dans le monde.

Dans le monde des tziganes, Django Reinhardt est considéré comme un symbole. Comme l’a écrit Alain Antonietto : « Django est le héros d’un peuple, celui du peuple Tzigane ». . Django reste l’ambassadeur d’une culture tzigane bien vivante, entre tradition et modernité.

Ses admirateurs retiendront aussi sa personnalité unique, son insouciance, ses coups de folie et ses coups de génie. Comme l’a déclaré son contrebassiste Louis Vola : « Le génie n’a pas à se justifier : il est ! »

Parmi les compositions les plus célèbres de Reinhardt, figurent notamment Minor Swing, Nuages, Rythme futur, Anouman, Djangology ou encore Douce Ambiance. Certaines de ses compositions ont été utilisées dans des bandes originales de film (Lacombe Lucien, Matrix, Aviator…) ou du jeu vidéo Mafia: The City of Lost Heaven : Belleville, Manoir de mes rêves, Echoes of France, Vendredi, Cavalerie et Rythme Futur.

Il est également évoqué comme modèle dans le film de Woody Allen Accords et désaccords de 1999 avec Sean Penn.

 

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